Par Frégist Tchouta, Transport Infrastructures Specialist, Directeur de Publication chez Bougna.net
Le groupe français Egis, référence mondiale dans de l’architecture, le conseil, l’ingénierie et les travaux publics, a annoncé son retrait progressif du continent africain. Une décision passée presque inaperçue dans les médias généralistes, mais qui mérite, pour notre secteur, une attention particulière. Car derrière les termes policés de « nouvelle stratégie africaine » et d’« engagement renouvelé » se cache, en réalité, un désengagement brutal, sans véritable plan d’accompagnement pour les centaines d’ingénieurs, techniciens et cadres africains qui ont façonné cette aventure industrielle depuis plus d’un demi-siècle.
Ceux qui avaient gardé un regard attentif sur les activités du géant français ces dernières années, avaient certainement été choqués par le licenciement, en juin 2024, de 200 personnels de la filiale camerounaise de l’entreprise, suite notamment à la suspension de son contrat (un partenariat Public-Privé) sur le projet de construction des postes de péages routiers automatiques. Un projet financé à hauteur de 42 milliards de FCFA, sur lequel EGIS (et la filiale camerounaise de RAZEL) avait presqu’achevé les sept premiers postes.
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Selon mes informations, sept filiales africaines du groupe sont concernées. Certaines ont déjà fermé leurs bureaux, d’autres ont suspendu leurs projets. Et partout, le même sentiment : celui d’une page tournée sans ménagement.
Une sortie sans héritiers
Ce départ d’Egis interroge. Pourquoi une telle précipitation ? Pourquoi surtout aucune passation de relais à des acteurs africains capables d’assurer la continuité ? Le continent ne manque pas de talents, ni de structures d’ingénierie solides. Pourtant, l’entreprise semble avoir choisi de rompre net, plutôt que de construire une transmission.
Cette attitude contraste avec celle d’autres multinationales qui ont su opérer leur retrait avec plus de responsabilité. La Société Générale, par exemple, a cédé plusieurs de ses filiales à des groupes bancaires africains, assurant ainsi la pérennité des emplois et la continuité du service. Dans le conseil, les retraits de PwC ou EY d’Afrique francophone ont, au contraire, donné naissance à une nouvelle génération de cabinets locaux, mieux ancrés dans les réalités du continent. Ces exemples montrent qu’un départ n’est pas forcément une perte. Il peut être une transmission, un passage de témoin, un levier d’émancipation.
Un tournant pour le BTP africain
Le cas Egis met en avant un enjeu stratégique : le contrôle africain de la filière de l’ingénierie et des travaux publics. Le continent regorge d’experts, d’ingénieurs et d’entreprises capables de reprendre le flambeau. L’Afrique n’est plus le terrain d’apprentissage qu’elle fut il y a cinquante ans. Elle est désormais une zone d’expertise, d’innovation et de solutions.
L’heure est donc venue de penser nos propres champions. De préparer la relève, non pas dans la contestation, mais dans la construction. Si Egis part, qu’il parte — mais qu’il laisse quelque chose. Une trace, un héritage, une continuité.
L’Afrique doit écrire sa propre ingénierie
Ce retrait doit être un électrochoc. Un appel à l’action pour les États, les ingénieurs, les investisseurs africains. Parce qu’au-delà de la perte d’un acteur international, c’est une opportunité historique de souveraineté industrielle qui s’ouvre. Nous pouvons – et nous devons – bâtir nos routes, nos ponts, nos ports, nos villes avec nos propres compétences. Egis s’en va. Très bien. Mais que ce départ marque la fin d’une dépendance, et le début d’une ère nouvelle : celle d’une ingénierie africaine, par nous et pour nous.