Jean Solaire KUETE : « Le gouvernement du Cameroun a abandonné les blessés de la Catastrophe ferroviaire d’Eseka »

2
Jean Solaire KUETE

Arpenter les routes du Cameroun, pour faire découvrir les merveilles touristiques du pays. C’était à peu près ça, le quotidien de Jean Solaire Kuete. Journaliste, et Président de l’Aptour (Association de la Presse pour le tourisme), il avait fait de la « Destination Cameroun » une marque, et de la promotion du tourisme camerounais, un leitmotiv. Hasard du destin c’est dans un train, qu’il emprunte pour rallier Kribi (la cité balnéaire) en passant par Douala, qu’il va vivre l’expérience la plus effrayante de sa vie. Nous sommes le 21 octobre, et le tristement célèbre « Train 152 » de Camrail déraille, et tue plus de 80 passagers au niveau d’Eséka. Sur le coup, il croit être sorti indemne. Mais c’est plusieurs jours après, que se présentent les premières séquelles. « Les douleurs qui, au départ étaient négligeables ont commencé à s’accentuer, dans le dos. J’ai été pris en charge par les médecins de Camrail et ses partenaires (l’hôpital de la caisse  et le Jourdain)…je continue de vivre avec la douleur dans le dos. Les stations debout ou assises prolongées me cause des souffrances, m’obligeant à me mettre sur des antalgiques et des massages », raconte-t-il. Contacté ce 21 octobre 2019, jour de commémoration de la catastrophe d’Eséka, celui qui est devenu Coordonnateur de l’association des victimes parle de l’accident, et fustige la gestion qu’a fait le gouvernement camerounais.

 

Ce 21 octobre 2019, le Cameroun commémore la catastrophe d’Eséka. Un déraillement de train dans lequel près de 80 personnes ont perdu la vie, selon le gouvernement. Et plusieurs centaines de blessés ont été recensés. Vous faites partie des rescapés de cet accident. Pouvez-vous nous raconter, brièvement, ce qui s’est passé ?

Ce jour-là, je me rendais à Kribi avec un membre de l’Association de la presse pour le tourisme responsable (Aptour). Il était pratiquement impossible d’emprunter un bus à la gare de Mvan parce qu’un pont s’était écroulé au niveau de Matomb rendant impossible le voyage par la route. Nous avions donc décidé d’emprunter le train pour Douala d’où nous trouverions aisément un moyen de joindre Kribi.  Dès lors, nous étions, comme la plupart des passagers, se rendant à Douala, Kribi ou Edéa, obligés de nous rendre à la gare ferroviaire, seul moyen de liaison avec Douala à ce moment-là.

Comme on pouvait s’y attendre, il y avait, à Camrail, une immense foule,…une bousculade devant les guichets. Chacun voulait par tous les moyens  et à tous les prix acquérir un ticket. Le fort afflux des voyageurs, a obligé Camrail à ajouter huit voitures au train 152 qui en comptait habituellement neuf. Ce qui a augmenté la capacité du train à plus de 1000 passagers, pour satisfaire tout le monde, C’est alors que nous sommes tous parvenus à trouver une place dans les wagons, les uns debout, les autres assis, certains avec ticket et d’autres sans ticket.

Nous sommes partis de Yaoundé  à 11 h 15, et vers 13 h nous avons commencé à percevoir des odeurs d’huile de frein brulée, puis le train a commencé à rouler très  vite (on dirait un avion au décollage). Il a quitté le rail  à proximité de la gare d’Eseka. Les wagons se sont renversés. Quatre ont basculé dans un ravin. Par la grâce de Dieu notre wagon est tombé à la gare d’Eseka et j’en suis sorti sain et sauf, avec des petits problèmes tout de même mais rien de cassé. Tout de suite nous nous sommes mis à secourir les autres. Aidés en cela par des riverains qui ont été formidables dans le sauvetage. C’était triste, des larmes, des cris, des blessés graves et des morts, la scène était invivable.

 

Vous dites être sortis sain et sauf. Mais avec quelques problèmes de santé conséquents à cet accident. Puisque vous avez des problèmes de santé nés au lendemain de cet accident de train. Comment cela se manifeste-t-il ?

Effectivement sur le champ je n’avais rien de cassé, aucune blessure ouverte. J’étais debout et pouvait aider quelques un à sortir du wagon. Mais quelques jours après, les douleurs qui, au départ étaient négligeables ont commencé à s’accentuer, dans le dos. J’ai été pris en charge par les médecins de Camrail et ses partenaires (l’hôpital de la caisse  et le Jourdain). Néanmoins, comme beaucoup de victimes, je continue de vivre avec la douleur dans le dos. Les stations debout ou assises prolongées me causent des souffrances, m’obligeant à me mettre sur antalgiques et des faire des massages.

 

Le Concessionnaire Camrail et son assurance, Activa en l’occurrence, ont annoncé une opération de dédommagement des sinistrés  de la catastrophe. Pour vous, personne sinistrée, avez-vous bénéficié de ces dédommagements ?

Les victimes ont bel et bien été indemnisées par Camrail, mais c’était une indemnisation faite à la légère. Les rescapés ont l’impression d’avoir été roulés par Camrail. Car les taux nous étaient presque imposés, et la majorité ne pouvait s’offrir les services de conseil juridique. Ils en ont profité et ont évalué les dégâts comme cela pouvait bien leur plaire. La bonne volonté de Camrail était entachée de ruse à mon avis. Je crois que l’Etat du Cameroun a abandonné ses sinistrés entre les mains d’un géant économique et le sort des blessés est bien triste. Il faut tout revoir.

 

En votre qualité de Coordonnateur national du Collectif des rescapés, comment analysez-vous la gestion qui est faite de cette catastrophe. Notamment dans le volet prise en charge des sinistrés et des ayants droit des disparus ?

Il faut dire que le sentiment général des rescapés et notamment des blessés est celui d’une grosse déception au regard de l’indifférence de l’Etat et de Camrail. Vous n’avez qu’à voir par vous-même ce qui est fait par l’Etat ou Camrail pour marquer ce jour anniversaire de notre accident. Rien du tout. Le geste du chef de l’Etat de donner 1 milliard aux victimes est à saluer. Mais il reste insignifiant. Et la façon dont il a été distribué démontre à suffisance que la prise en charge des victimes de catastrophes au Cameroun n’est pas encore inscrite dans nos pratiques. Le Chef de l’Etat avait également prescrit la prise en charge gratuite des blessés dans les hôpitaux publics. Mais qu’en est-il sur le terrain. Donc pour le CRAFE, le gouvernement du Cameroun a abandonné les blessés de la Catastrophe ferroviaire d’Eseka. Beaucoup pourront perdre leur vie si rien n’est fait pour les assister.

 

A la suite de l’appui du Président de la République, les sinistrés, que vous représentez lui ont adressé une lettre de remerciements. Alors qu’au moment du paiement, des grincements de dents étaient perceptibles. Cela signifie-t-il que les choses ont été résolues ?

Qu’est ce qui devait être réglé ? L’argent a été décaissé et mal distribué c’est tout. Une distribution jugée arbitraire par les rescapés et le CRAFE. Nous avons adressé une lettre de remerciements au chef de l’Etat en lui révélant que ce don a fait l’objet d’une distribution peu transparente et insatisfaisante. C’est l’argent de l’Etat. C’est à l’Etat de demander des comptes à ceux qui ont géré cette répartition qui a suscité des grincements de dent

 

Aujourd’hui, trois ans après la catastrophe, quels sont vos espoirs en tant que sinistré, et en tant que coordonnateur du CRAFE ?

Le CRAFE (Collectifs des Rescapés de l’accident Ferroviaire d’Eseka) existe depuis quelques mois seulement.  Avec une cinquantaine de membre déjà, nous comptons mettre sur pied une chaine de solidarité qui nous permettra de nous soutenir dans les difficultés auxquels font face les rescapés et famille des victimes. Notre collectif envisage également de défendre les intérêts   des membres et de rechercher les voies et moyens pour apporter de l’assistance au plus vulnérable. La tâche n’est pas facile, le bureau que je dirige est bien engagé.

Interview réalisée par Frégist Bertrand TCHOUTA

2 Commentaires

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here