Depuis trois jours, vous êtes à Yaoundé pour prendre part aux travaux du Congrès sur le numérique ferroviaire. Je me souviens qu’avant Yaoundé, l’Union Internationale des Chemins de fer (UIC) a organisé, à Dakar, un congrès sur les investissements ferroviaires. Pourquoi passer rapidement à la digitalisation, alors qu’on observe, en Afrique, des écarts importants au niveau de la qualité des infrastructures ferroviaires ? Que veut-on digitalilser, si le rail n’est pas largement posé ?
Je vais partir d’une perspective mondiale avant de parler de l’Afrique. L’UIC promeut à tous les échelons, y compris à l’ONU, y compris à la COP, qu’il faut avoir plus de trains dans le monde entier, partout, dans tous les continents. C’est extrêmement difficile de convaincre les décideurs, mais cette prise de conscience est désormais là. Qu’on réussisse à passer de la prise de conscience à une accélération du développement du ferroviaire.
L’Afrique a une grosse opportunité, parce qu’elle a l’ambition de construire 40 000 km de voies nouvelles. La clé sera le financement. Ce qui justifie le Congrès sur le financement de Dakar dont vous parliez tout à l’heure. Il s’agissait d’échanger sur la question de savoir comment financer les projets ferroviaires. Ce qui sous-entend les infrastructures et les matériels roulants.
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Le digital, qu’est-ce que c’est ? D’abord il est partout, dans tous les secteurs, et est devenu incontournable. L’intelligence artificielle c’est un aspect du digital, il est aussi incontournable. Quand on construit des infrastructures neuves, quand on achète du matériel roulant neuf, de toute façon, vous avez du digital.
Sur les infrastructures et les matériels roulants existants, ce congrès permet de montrer que c’est possible. Vous avez suivi des exposés ce matin. Ce sont des compagnies ferroviaires existantes, avec des matériels roulants existants, des infrastructures existantes qui digitalisent. C’est donc possible. En fait, quand vous digitalisez, vous êtes plus efficaces, et ça devient moins cher. Il y a des passagers, des chargeurs de fret, qui sont plus satisfaits. Donc aussi bien sur l’existant que sur les investissements neufs, le digital facilite les choses.
Au Cameroun, il y a huit ans, le secteur ferroviaire a lourdement été frappé par ce qu’on appelle « la catastrophe d’Eséka ». Il s’agit d’un déraillement de train qui a causé 79 morts et des centaines de blessés à Eséka, non-loin d’une gare ferroviaire située entre Yaoundé et Douala. Suite à cette catastrophe, le transport des passagers entre les deux capitales a été suspendu pendant longtemps. Au-delà de la durée de l’enquête et la liquidation du passif (indemnisations, procédures etc.), ce temps a permis au gouvernement et Camrail de mettre en œuvre un plan d’investissement dans les infrastructures. A travers l’achat de nouveaux véhicules, mais aussi la réparation des voies. Cependant, lorsque le transport passagers a repris, les populations, probablement encore traumatisées, ne se sont pas bousculées dans les gares. Est-ce que à l’UIC, vous percevez cette complexité du train pour le Cameroun et les pays africains qui sortent d’une période difficile comme celle-ci ? Qu’est-ce que vous faites pour accompagner les pays et leur permettre de retrouver le niveau d’activités post déraillement ?
Nous, à l’UIC, nous avons une vision mondiale, puisque nous avons 95 pays représentés, 200 compagnies ferroviaires, universités, centres de recherches et autorités de sécurité.
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Nous avons des programmes de travail pour nos membres, et l’un qui mérite d’être relevé, c’est la sécurité des équipements ferroviaires. Comment éviter des accidents. C’est une culture qui est partagée dans le monde entier. J’ai déjà discuté avec Camrail, elle est en avance sur la façon d’améliorer la sécurité des circulations ferroviaires. Nous, au niveau de l’Afrique, sur tous les continents, mais aussi au niveau de l’Afrique, nous sommes en train de développer un programme qui ressemble à celui de Camrail. Pour améliorer la sécurité des circulations ferroviaires.
La SNCF, géant français du transport ferroviaire, déclare des activités déficitaires depuis toujours. Au Cameroun, Camrail, dans ses rapports les plus récents, présente un déficit dans sa branche transport passagers. Comment expliquez-vous à un investisseur qu’il faut mettre de l’argent dans une affaire qui ne rapporte pas ?
Je vous répondrai en m’appuyant sur les conclusions du congrès de Dakar du mois d’octobre dernier. En fait, le ferroviaire, dans le monde entier, apporte des progrès sociaux considérables. Je ne parle pas seulement de la réduction des émissions de CO2. C’est moins de morts dans les transports, du temps gagné, qui peut servir à booster l’économie nationale.
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Ça veut dire que si vous avez une vision complète du sujet, et c’est l’une des conclusions du congrès de Dakar, il est normal que l’infrastructure soit financée par les Etats, pas par les compagnies ferroviaires. Les compagnies ferroviaires sont là pour faire rouler des trains sur des infrastructures financées par l’Etat. C’est exactement ce qui se passe sur la route, et ça n’a choqué personne.
Sauf que l’Etat n’a pas toujours les moyens nécessaires, et doit toujours se tourner vers des investisseurs privés…
J’ai découvert des débats des années 20 (il y a cent ans), où, en France, il y avait déjà le même reproche. Il y avait déjà cette incompréhension dans l’esprit des politiques de l’époque que ce soit normal que la route soit gratuite, mais que pour les chemins de fer, les cheminots se débrouillent tous seuls sans l’aide de l’Etat.
Le problème c’est que rien n’a changé. C’est toujours des gains sociaux considérables, et il est normal que des investissements soient en partie portés par les Etats, puisque les gains sociaux, ce sont les citoyens qui en tirent profit.
Par ailleurs, le secteur ferroviaire capte des marchés de marchandises, des marchés de voyages à longues distances et des marchés de transport régional autour des grandes cités. Et là, autour des grandes cités, nulle part dans le monde, cette deuxième activité n’est bénéficiaire. Il y a deux exceptions : Hongkong et Tokyo où ils ont construit des gratte-ciels au-dessus des gares et donc 60% des revenus de la compagnie ferroviaire sont fournis par l’immobilier. Vous convenez avec moi que ce n’est pas possible partout.
En fait, là encore, la compagnie ferroviaire, quand elle fait rouler ses trains, elle décongestionne les routes. C’est désormais reconnu partout que le transport autour des grandes villes est subventionné. C’est logique.
Donc le modèle économique est en train de se décanter petit à petit. Des infrastructures financées par les Etats, des trafics qui sont soit en pleine concurrence, c’est le cas du fret, c’est le cas de la longue distance, soit subventionnés parce que le transport du quotidien autour des grandes métropoles est subventionné.
Ce débat, quand je suis devenu cheminot, on parlait du déficit. Ça suffit. Ce n’est pas une question de déficit. C’est normal que chacun prenne ses responsabilités. C’est une des conclusions du Congrès de Dakar.
A-t-on des éléments chiffrés sur les besoins actuels en termes de financement au niveau de l’UIC de manière générale et en Afrique en particulier ?
Nous avons suivi ici, une présentation de la Commission de l’Union africaine. Elle est en train de fédérer différents Etats pour avoir des projets détaillés et chiffrés pour créer des corridors en Afrique. C’est la base si on veut intéresser des investisseurs, et capter des investissements. Donc ces éléments chiffrés, c’est au cas par cas. Ils sont en train d’être mis en œuvre par les différents Etats, à travers la Commission de l’Union africaine.