L’Etat du Cameroun négocie avec Kribi Highway Management (KHM, entreprise de projet créée pour l’exploitation de l’autoroute Kribi-Lolabé) sur la modification de la forme du contrat qui les lie depuis 2022. Selon nos informations, Emmanuel Nganou Djoumessi, Ministre des Travaux Publics, souhaite « la mutation » du contrat de PPP signé avec CHEC, vers un contrat de marché public. Une option « conforme aux récentes hautes instructions », précise le ministre.
Pour comprendre le projet, il faut remonter au 30 septembre 2022. Ce jour, le Gouvernement, représenté par les ministres des Finances et des Travaux Publics signent le contrat de Partenariat Public-Privé (PPP), avec l’entreprise China Harbour Engineering Company (CHEC).
Le contrat porte sur le financement partiel, la conception, l’exploitation et la maintenance de l’autoroute Kribi-Lolabé (38,5 Km) et ses voies de raccordement (4,94 Km). Pour rembourser l’argent de CHEC, le contrat (élaboré sous la forme d’un contrat Engineering Procurement Construction-EPC), prévoit une rémunération par des loyers, sur la base des recettes de péage que l’entreprise collecte pour le compte du Gouvernement ; celui-ci en fixe les tarifs. La période d’exécution du contrat était de 30 ans.
Retards
Plus de deux ans après sa mise en service, l’infrastructure ne tient pas la promesse des fleurs. Financée à plus de 293,555 milliards de FCFA (près de 226, 946 milliards de FCFA de prêt pour les travaux de construction et environ 66,608 milliards de FCFA de préfinancement privé), l’infrastructure devait, à date, servir de source de remboursement des investissements.
Mais, reconnaît Dieudonné Bondoma YOKONO, Président du Conseil d’Appui à la Réalisation des Contrats de Partenariat (CARPA), l’exploitation ne se déroule pas normalement. Selon nos informations, les recettes tirées du passage des véhicules au poste de péage de Mbeka’a ne dépassent guère les 50% des prévisions. Si les données exactes n’ont pas été communiquées, on sait cependant qu’en fin 2023, KHM estimait à 72 millions de FCFA, les recettes moyennes mensuelles collectées. Ce qui situerait à moins de cinq milliards de FCFA, les recettes tirées des droits de passage des véhicules sur ce poste de péage.
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Au Ministère des Travaux Publics, on justifie cette situation par plusieurs raisons. « Il ressort, à l’analyse, que le gap observé sur le trafic est essentiellement dû à la lente occupation de la zone industrielle contigüe au Port Autonome de Kribi ; le grand retard dans l’achèvement des travaux de la phase 2 du Port cité ; l’absence des entreprises minières pressenties ; la connectivité limitée, occasionnée par le non démarrage des travaux de certains axes routiers clés ; et surtout la faiblesse de la fourniture en électricité, qui freine l’engouement des entreprises à s’installer dans la zone industrielle de Kribi », peut-on lire dans une note parvenue à notre rédaction.
« C’est un échec cuisant à la fois dans la mise en œuvre des PPP au Cameroun, et dans le montage des projets structurants comme celui du port de Kribi par le gouvernement », s’indigne un expert resté sous anonymat. « Le Port entre dans sa phase décisive en 2005 et est mis en service en 2018, soit 13 ans plus tard. Pendant toute cette période, l’Etat n’a pas pu se donner les moyens de doter le port d’une desserte à la hauteur de ses ambitions. L’autoroute est arrivée en 2022, soit quatre ans après la mise en service du port et 17 ans après le démarrage des travaux de construction de cette infrastructure. Problème, elle (l’autoroute Ndlr.) s’arrête à Lolabé, alors qu’on l’attendait à Edéa. L’Etat s’est lui-même tiré une balle dans le pied, en procédant à un montage boiteux », crache l’expert.
Pressions
« Le Comité de suivi du projet est une instance statutaire instituée dans le contrat de partenariat. Elle doit se réunir périodiquement. Ce jour donc était une session tout à fait normale, conformément aux dispositions du contrat. Au cours de cette session, nous avons discuté des difficultés et des avancées dans la mise en œuvre du projet », réagit Dieudonné BONDOMA YOKONO.
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« Pour cette session, l’infrastructures a déjà été construite, elle est en phase d’exploitation, il est question de voir si cette exploitation se déroule favorablement. Nous avons pu noter qu’il y a un certain nombre de préoccupations posées aussi bien par le partenaire public que par le partenaire privé. Nous sommes tombés sur un accord, notamment en ce qui concerne le re-paiement du partenaire privé par rapport à l’investissement qu’il a consenti », ajoute-t-il.
Si les négociations restent ouvertes entre les deux parties, CHEC, unique actionnaire dans le capital de KHM, fait pression pour rentrer en possession de son investissement. A combien s’élève le manque à gagner ? Qui va payer l’argent de KHM ? L’Etat, répond Nganou Djoumessi. Si le montant total des loyers dû n’a pas été révélé, le Ministère des Travaux Publics souligne dans sa note qu’il supportera la note. « Le loyer 1, relatif à l’investissement du partenaire de l’Etat dans ce projet sera payé au cours de l’exercice budgétaire 2025, conformément aux dispositions du Budget du Ministère des Travaux Publics qui comporte une provision de 40 milliards de FCFA pour le présent exercice », peut-on y lire.
Mais avant de consentir à l’augmentation de la contribution de l’Etat dans le paiement des loyers, le MINTP pose des conditions. Que l’entreprise procède notamment à la « transmission formelle du montant à allouer aux charges d’exploitation ».