Suite au décès de quatre personnes (tous des enfants, 59 blessés ont également été enregistrés) dans un accident impliquant la compagnie de transport interurbain Trésor Voyages ce 1er juillet 2024 au lieu-dit Nteingue « Marché plantain », à Santchou sur Falaise de Dschang, le Ministère des Transports a fait une sortie pour le moins sur prenante.
Dans un communiqué rendu public le 05 juillet (soit quatre jours après le drame), le membre du gouvernement a expliqué que : « les enregistrements vidéo du système de gestion et de suivi centralisés du transport interurbain de voyageurs ont révélé comme principale cause l’excès de vitesse pratiqué par le chauffeur sur une chaussée humide et glissante à cause de la pluie ».
« Malgré les nombreuses alertes émises par le système de vidéosurveillance, aucun passager n’abordait la ceinture de sécurité quoique le bus était équipé et, le chauffeur a maintenu sa vitesse jusqu’à la survenance de ce drame », a-t-il ajouté.
Ym@ne Driver
Lorsqu’il est lancé le 21 septembre 2021 à grand renforts médiatiques, le système de gestion et de suivi centralisés du transport interurbain de voyageurs est présenté comme la solution aux accidents de la circulation. Développé par l’entreprise camerounaise CAMTRACK (avec comme partenaire technique la filiale camerounaise de l’opérateur de téléphonie mobile sud-africain MTN), il repose principalement sur une application baptisée Ym@ne Driver.
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Concrètement, il s’agit d’équiper les bus de transport interurbain de voyageurs de caméras et d’une sorte de boîte noire automobile. Des équipements connectés à un centre de contrôle et de surveillance, à partir duquel des téléopérateurs peuvent contrôler la qualité de conduite, le respect du Code de la route, le port de ceinture de sécurité, etc.
« Ces installations sont effectuées par des techniciens qualifiés qui sont recrutés au fur et à mesure de la croissance de l’activité. Des équipes rattachées au Ministère des Transports sont dédiées à la surveillance en temps réel et 24/7 des véhicules au quotidien. Cependant pour une meilleure efficacité chaque compagnie de transport est responsable du suivi de son parc de véhicules, ceci par des agents recrutés directement par elle. Ainsi plusieurs recrutements ont été faits mais les données sont disponibles auprès des compagnies elles-mêmes », explique Hilaire TINEN, Directeur Général de CAMTRACK, dans une interview accordée à BOUGNA en août 2023.
Pour tester l’efficacité du système, une phase pilote d’un an est engagée, avec 100 bus appartenant à 19 compagnies de transport interurbain de personnes. « A l’issue de cette phase pilote 1 seul accident de la circulation a été répertorié sans perte en vie humaine, et ceci en début de période test », se réjouit-il.
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Avant de conclure que « à date, soit 10 mois après la fin du Pilote évoqué, il est à noter qu’aucun véhicule équipé de la technologie Ym@ne Driver n’a été victime d’accident engageant la responsabilité du conducteur. Le bilan global du dispositif de suivi centralisé à ce jour se résume donc en 1 accident matériel et 0 décès en presque 2 ans d’exploitation ».
Loin des éloges que fait CAMTRACK sur son application, les opérateurs de transport interurbain de personnes ne se bousculent pas au portail. Deux ans après son lancement, seulement 800 véhicules (300 dédiés au transport de personnes et environ 500 pour le transport de produits pétroliers de transport interurbain) sont équipés du « dispositif intelligent ».
Approchés par BOUGNA, plusieurs opérateurs se plaignent des coûts énormes appliqués par CAMTRACK. « Tenez pour exemple, les kits réclamés dans tous nos bus sont de plus de 300 millions FCFA par an », lance, calculatrice en main, le patron d’un géant du transport interurbain.
Mais il n’y a pas que l’argent.
Pour contraindre les opérateurs à s’équiper, le Ministère des Transports procède par embuscade. En cas d’accident, interdiction de circulation à toute la flotte, et obligation d’équiper tous les véhicules avec le nouveau dispositif de suivi. Touristique Express, qui assure le monopole du transport interurbain dans les lignes du septentrion et du grand Littoral passe à la trappe. D’autres opérateurs comme Men Travel, viendront par la suite.
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Trois ans après son lancement, la tactique de la terre brûlée du Ministère des Transports ne marche pas. Car à côté de l’argent, certains opérateurs doutent de l’efficacité de l’application Ym@ne Driver dans la lutte contre les accidents.
C’est le cas notamment des syndicats des transporteurs, que CAMTRACK est contraint de réunir à Douala en mars, pour leur permettre de « comprendre l’importance et surtout l’intérêt de l’outil (Ym@ne Driver) non seulement pour leur propre sécurité mais aussi pour les biens, marchandises et personnes transportés », explique, à l’époque, Hilaire TINEN.
Si rien ne permet pour l’instant de savoir si les nombreuses opérations séduction ont porté leurs fruits, l’accident de ce 1er juillet, impliquant un bus de l’opérateur de transport interurbain de personnes Trésor Voyages pourrait faire tomber le château de carte.
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Dans son communiqué, le membre du gouvernement écrit : « Malgré les nombreuses alertes émises par le système de vidéosurveillance, aucun passager n’abordait la ceinture de sécurité quoique le bus était équipé et, le chauffeur a maintenu sa vitesse jusqu’à la survenance de ce drame », a-t-il ajouté.
Quels genres d’alertes le système de vidéosurveillance a-t-il émis, au point où le chauffeur n’ait eu aucune gêne à continuer sa route ? Pourquoi le système, constatant qu’aucun passager n’abordait la ceinture de sécurité, n’a pas contacté immédiatement l’agence, pour que des dispositions soient prises pour interpeller le chauffeur ? Pourquoi le système n’a-t-il pas simplement contacté un poste de gendarmerie à proximité pour immobiliser le véhicule ou le prendre en chasse ? Enfin, constatant que le chauffeur roulait en excès de vitesse « sur une chaussée humide et glissante à cause de la pluie », quelles dispositions le système a-t-il prises pour empêcher la mort pourtant évitable de quatre personnes ?
Approché, Hilaire TINEN, DG de Camtrack n’a pas souhaité répondre à cette question. Interrogé sur la recrudescence des accidents de la circulation à l’Assemblée Nationale, Jean Ernest Masséna Ngallè BIBEHE, le Ministre des Transports, a dit avoir autorisé la publication de la vidéo de l’accident pour « toucher les sensibilité » des gens. Sur le rôle de Ym@ne Driver dans cette lutte, l’efficacité est donc plus que jamais compromise.