Nganou Djoumessi : Chances et malheurs d’un « ingénieur en costard »

2

Depuis son arrivée au ministère des Travaux publics, la route Yaoundé-Douala semble être son talon d’Achille. Après Manyaï qui a conduit à la catastrophe d’Eséka, et Ebombe survenue un an plus tard, Emmanuel Nganou Djoumessi voit la route s’écrouler à nouveau devant lui… comme un château de cartes. Depuis hier, la buse de Yassa a cédé, et sa réhabilitation fera perdre trois jours aux milliers d’entreprises qui n’ont que la route comme moyen de liaison entre Yaoundé et Douala. Une malchance, pour celui qui a déjà du mal à atteindre la vitesse de croisière sur l’autoroute Yaoundé-Douala. Mais une chance, parce que jusqu’à ce jour, sa dextérité a permis de mobiliser rapidement des équipes pour rétablir, en moins de 24 heures, la circulation. Au regard de la succession des incidents sur la route, il lui faut trouver une solution d’urgence. Certain qu’il ne peut rassembler les 150 milliards nécessaires à la réhabilitation des 360 buses défectueuses de ce tronçon de la nationale N°1, il opte pour une approche progressive. Traiter au cas par cas les buses, en fonction de leur urgence. Avec l’espoir que la chance lui porte bonheur, et l’éloigne d’un incident malheureux (en vies humaines) en rapport avec les buses.

 

Ceux qui ont eu la chance de passer la nuit avec lui sur le chantier de réparation de la buse de Manyaï (qui a conduit à la catastrophe d’Eséka), ont certainement vu quelque chose de symbolique dans les va-et-vient d’Emanuel Nganou Djoumessi. L’impression de voir un homme perdu, qui se demande si les dieux lui sont tombés sur la tête, mais en même temps cette détermination à se battre jusqu’au bout pour accomplir la lourde mission que lui a confié le Chef de l’Etat (portrait publié dans La Nouvelle Expression). Doit-on le rappeler, ses trois prédécesseurs, Dieudonné Ambassa Zang (2002-2004), Bernard Messengue Avom (2006-2011), et Patrice Amba Salla (2011-2015) sont repartis la tête basse de ce département stratégique dans la politique de Paul Biya. L’un s’est exilé en Europe, après qu’on ait fait peser sur lui des soupçons de détournements de deniers publics. L’autre a épuisé ses neurones sur la route Ayos-Bonis, en tentant de réagir à un rapport très critique sur sa gestion. Et le dernier n’a peut-être pas su garder sa langue dans la gestion des chantiers Sangmélima-Ouesso, et de l’autoroute Yaoundé-Douala.

Emmanuel Nganou Djoumessi, conscient de cette sorte de « malchance » qui suit les ministres des Travaux publics depuis ces quinze dernières années doit peut-être se demander s’il ne sera pas emporté par les eaux de l’une des buses de la nationale N°3. Sur cette route censée relier Yaoundé-Douala à Idenau (longue de 397 kilomètres), les rapports ne sont pas reluisants. Un rapport des Nations Unies publié en 2015, en faisait l’une des routes les plus dangereuses au monde. Au cours de la même année, une étude, menée cette fois par le ministère des Travaux publics lui-même, relevait que sur les 360 buses recensées sur ce tronçon, aucune n’était en bon état. Bref, la route Yaoundé-Douala selon ces rapports, est en état de délabrement avancé. Ce qui explique à juste titre les ruptures successives de buses observées ces dernières années (trois en trois ans, et deux autres qui seront réhabilitées en même temps que celle d’Ebombe).

Comme cela a souvent été le cas, un éventuel départ de Nganou Djoumessi du Mintp ne sera pas forcément de sa faute. Même s’il est accusé de toujours arriver sapé de son costume (coupe Feymen, il n’a pas souvent porté les bottes) pour jouer les sapeurs-pompiers, et non en prévisionniste, l’infrastructure elle-même pose des problèmes. Premièrement, la route, construite en 1982 (pour durer entre 15 et 30 ans), a largement rempli sa mission, et devrait être normalement admise à faire valoir ses droits à la retraite. Deuxièmement, le profil de la route n’a pas été bien dessiné. « …Il n’était pas adapté au type de trafic. Le problème se pose donc dès la conception initiale. On a vu une route avec une vitesse max de 80km/h. mais (où les automobilistes ne roulent pas Ndlr.) à moins de 100km/h. Ensuite, cette route accueillerait essentiellement des véhicules dits de tourisme. Mais sur cette route les véhicules lourds représentent au moins la moitié du trafic. Du coup, cette route est inadaptée au trafic », expliquait Dieudonné Ambassa Zang, dans un post publié sur sa page Facebook le mardi, 19 septembre 2017.

 

Problèmes d’argent

Mais il n’y a pas que ça. Dans le programme de maintenance de ce tronçon routier, l’écart entre disponibilité des ressources financières, et importance des travaux à réaliser a souvent été grand…très grand. Par exemple, pour la seule réhabilitation des buses de la RN3, les études font état d’un besoin en financements de 150 milliards de FCfa. Un budget difficile à mobiliser, au regard des peines que l’Etat rencontre déjà sur d’autres chantiers. C’est un exemple parmi tant d’autres permet d’élucider cette insuffisance des ressources financières. C’est le chantier de construction de l’autoroute Yaoundé-Douala. Il y a un an (en juin 2017), le non-paiement des décomptes 3 à 8 avait conduit à « l’interruption » des travaux par la China Firt Highway Engineering (CFHE). Pour sauver les meubles, le Cameroun a dû débloquer de toute urgence une enveloppe d’environ 20,924 milliards de FCFA (environ 36 millions de dollars) pour décanter la situation.

Y a-t-il un « fantôme » sur cette route qui hante les ministres des Travaux publics ? Non, répond Dieudonné Ambassa Zang, qui pense qu’il y a plutôt un mauvais esprit qui empêche de voir clairement le problème. « Aujourd’hui, si on veut sauver l’axe lourd et arrêter les affaissements de buses et autres, l’entretien à faire s’appelle la réhabilitation », écrit l’ex-ministre des Travaux publics. Or ajoute-t-il, « Nous nous battons souvent pour construire mais après nous n’arrivons pas à mobiliser ou dégager des moyens pour entretenir. Le Ministre des Travaux Publics ne peut bâtir un programme d’entretien routier que sur la base des moyens mis à sa disposition ». Une façon inavouée de dire qu’à la fin, le problème ne serait pas Nganou Djoumessi.

La solution des buses

Pour tenter de résoudre les problèmes de cette vieille dame, le Mintp a quand même une idée derrière la tête. Elle consiste à répertorier les buses qui existent et qui ont été construites entre 1982 et 1986, les classer en fonction de leur urgence, et les remplacer progressivement. D’après les explications données par Guy Daniel Abouna Zoa, le Directeur des travaux d’infrastructures au Mintp, trois catégories ont été recensées. « Ceux (les ouvrages) à remplacer en urgence sont environ 134 et ceux à remplacer à moyen terme 132. Le programme y relatif est en cours, les entreprises sont mobilisées. Le remplacement des buses demande environ 47 milliards de FCFA et pour cette année, nous avons pu mobiliser 10 milliards de FCFA », a-t-il expliqué dans une réaction publiée dans les colonnes du quotidien Cameroon Tribune.

On n’est donc pas sûr d’en avoir fini avec les routes coupées en deux par les buses. Mais l’énergie observée chez le fringuant fils de Bamesso (Département des Bamboutos, région de l’Ouest) rassure sur le fait qu’une fois la route coupée, on n’attendra pas longtemps pour voir la circulation rétablie. C’est par exemple ce qu’il tente de faire à Yassa, en donnant 72 heures à Razel pour rétablir la circulation. Il lui faudra cependant continuer à prier, pour que les dieux des eaux qui, depuis deux jours, jettent leur colère sur Douala (plusieurs quartiers sont inondés) n’emportent pas de vie humaine dans leur action destructrice. Il lui faudra aussi de temps en temps chausser les bottes, et les jeans pour se fondre dans le paysage des chantiers qui se dressent sur sa route.

2 Commentaires

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here