Depuis son accession à la tête du Port Autonome de Douala, c’est la première fois qu’il s’exprime ainsi. Habituellement réservé, la parole rare, Cyrus NGO’O a choisi l’émission « Présidence Actu », diffusée sur les antennes de la CRTV pour se lâcher. Nationalisation des activités au Port de Douala-Bonabéri, financement des projets, réalisation des projets pensés par le Président de la République…c’est une sortie aux airs de bilan que fait le DG du PAD. Pourquoi les choses sont faites, comment sont-elles faites, et surtout, qu’est-ce qui sera fait ? Cyrus NGO’O répond à tout, sans filtre.
Votre parole est rare. C’est en cela qu’elle est précieuse. Ça fait neuf ans que vous êtes à la tête du PAD. C’est toujours la même passion, la même détermination que le premier jour ?
Nous avons tellement de projets à réaliser ici. Nous avons tellement envie d’accomplir la mission qui nous est assignée que nous ne voyons pas le temps passer. Neuf ans sont passés comme dix jours, jusqu’à présent, nous avons la même énergie, la même passion. Parce que nous sommes certains que ce que nous faisons apporte une contribution significative au développement du pays. Développement du pays dont la gestion incombe à monsieur le Président de la République, le Chef de l’Etat son Excellence Paul BIYA, qui a pris des engagements devant le peuple camerounais de développer notre pays. Et en développant notre pays, de développer le port.
Comment fait-on pour tenir dans un contexte de vents contraires, parfois d’adversité ?
Quand vous êtes à un poste de responsabilité, surtout dans un contexte où beaucoup d’enjeux sont concentrés, il faut s’attendre à trouver des résistances au changement. Quand vous êtes préparés à ce type de challenge, vous n’êtes pas surpris d’avoir des vents contraires qui s’opposent à l’action que nous menons. Mais il faut dire que nous bénéficions dans cette dynamique du soutien du gouvernement, du soutien affirmé du Président de la République. Parce qu’il faut dire que si ce soutien n’était pas affirmé, nous ne serions pas amenés à réaliser tout ce que nous avons réalisé aujourd’hui.
Cela contribue bien évidemment à doper notre moral. Parce que vous imaginez que toute cette adversité a pour seul objectif de nous décourager. Malheureusement, c’est plutôt un élément de motivation qui nous permet d’avancer.
Quelle place occupe le Port de Douala-Bonabéri dans l’écosystème national ?
Avant de vous donner la place du port de Douala-Bonabéri, je voudrai d’abord vous rappeler la fonction d’un port. Un port a pour fonction d’assurer les opérations du commerce extérieur d’un pays. C’est pour vous dire que c’est une infrastructure stratégique. A cet égard, l’essentiel des missions qu’on assigne à cet organisme qu’est le Port Autonome de Douala, c’est de s’assurer que cette fonction-là est assumée.
C’est vrai que quand monsieur le Président de la République était ici le 06 octobre 2011, qu’il annonçait le programme de développement du Port de Douala-Bonabéri, nous étions déjà presqu’en rupture de charges. Puisque le Port a été construit pour manutentionner à peu près 7,5 millions de tonnes. Et en 2011, nous approchions déjà les 11 millions. C’est dire le risque d’engorgement. En faisant ce discours, monsieur le Président a fait tout un programme. Programme qui a mené des changements.
L’une des phrases fortes du Président de la République quand il déclinait son ambition pour ce port c’était d’en faire le port de référence dans le Golfe de Guinée. Dans quelle proportion cet engagement, cette promesse, s’est accomplie ?
Bien évidemment, le Chef de l’Etat a fait tout un programme pour le Port de Douala. Mais avant de vous indiquer quels sont les éléments sur lesquels le Président a insisté, j’aimerai vous indiquer également que nous avons fait faire des études par l’Institut National de la Statistique, qui a établi que 70% des échanges globaux entre le Cameroun et l’extérieur sont faits par le Port de Douala-Bonabéri. Et dans une proportion beaucoup plus importante, pour les pays qui sont sans littoral comme la RCA et le Tchad.
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Maintenant, le Président était à Douala, et j’aime à le rappeler, le 06 octobre 2011, il a fait tout un programme de rattrapage des hectares qui ont été constatés à cette époque. Je vous ai parlé tout à l’heure qu’à cette époque-là, les capacités de stockage du port étaient dépassées. Le Président, dans son discours de campagne, a annoncé plusieurs projets.
La sécurisation du port de Douala, la modernisation des infrastructures d’aconage, la modernisation du balisage, et sachant que ce programme avait des limites, le port étant contenu dans un espace contraint par la ville, le Président a pensé qu’il fallait développer des installations portuaires péri-portuaires. Donc il a annoncé la création d’une zone industrialo-portuaire. Donc tous ces projets ont pour l’essentiel démarré. Et les autres sont en cours de démarrage.
Sur la protection du domaine portuaire, autrefois source de grand stress. Quelle est la situation à l’heure actuelle ?
Je peux dire aujourd’hui, sans risque de me tromper, que le Port de Douala-Bonabéri est entièrement sécurité. Tout au moins dans la partie essentielle qui est la partie sous-bois. Nous avons étendu la sécurisation dans la description exacte que monsieur le Président a eu à faire. Clôture périmétrique, clôture sectorielle, dispositif d’entrée et sortie biométrique…Nous l’avons fait. Aujourd’hui, le Port est sorti de la liste noire des ports.
Nous avons réussi à avoir la certification ISPS qui est la plus haute certification sur la sécurisation et la sûreté des ports. Nous avons la visite régulière des garde-côtes américains qui viennent évaluer le niveau de sécurité des ports. Et notre port est dans la liste des ports qui sont désormais sécurisés. Aujourd’hui, nous sommes un exemple en Afrique.
C’est-à-dire que quand ces institutions-là veulent citer un exemple de port sécurisé, généralement c’est au port de Douala-Bonabéri que les autres ports viennent s’inspirer. Donc on peut vous dire, sans risque de nous tromper, que tout ce qu’on reprochait au Port de Douala-Bonabéri à l’époque, a presque disparu. Vous n’avez plus de marchandises abîmées ; vous n’avez plus de marchandises qui disparaissent ; nous avons une visibilité très claire avec notre réseau de caméras, qui permet à 50 km d’ici, de voir les navires qui arrivent au niveau de la frontière camerounaise et qui repartent du port de Douala pour le large.
Et cela induit bien évidemment des rentrées financières…
Bien évidemment. Comme cela était à l’époque, je suppose qu’aujourd’hui les recettes de l’État ont augmenté. Les recettes portuaires apportent un surplus de revenus à l’autorité portuaire que nous sommes. C’est tout bénéfique pour tout le monde.
Autre facteur de grand stress autrefois, c’était le draguage du chenal, source également de dépenses parfois importantes. Est-ce que là aussi, M. le directeur général, le pire est derrière nous ?
Oui, on peut dire que le pire est derrière nous, surtout du point de vue financier. Parce qu’il faut le dire, pendant une vingtaine d’années, une trentaine d’années même, ici on a pu l’option de faire contractualiser les activités de draguage du chenal.
Or, le chenal, pour un port d’estuaire comme le nôtre, c’est un peu le trou numéro un du Cameroun. Si l’État n’a pas le contrôle de cette voie, vous couvrez le risque de subir des chantages de toutes sortes d’entreprises multinationales qui opérent sous forme de marché. C’est pourquoi le gouvernement a résolu de nous prescrire d’internaliser l’activité du draguage.
Quand nous sommes arrivés ici en 2016, nous avons acheté un bateau qui est seulement dédié au draguage du chenal. C’est une activité qui se fait 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, sans interruption. Au-delà du chenal, il faut comprendre que pour que le navire puisse accoster et repartir, il faut également draguer les pieds des quais et les plans d’eau.
Légalement, nous avons acheté un navire de draguage qui ne fait que ça. Nous avons eu le bonheur d’accueillir dernièrement un troisième navire de draguage qui est allé en réparation, qui porte le nom emblématique de l’Arteneda. Dès que nous aurons réceptionné les travaux, le navire va venir accroître les équipements qui font ce travail. C’est pour dire que la psychose, qui faisait que les gens avaient peur de l’interruption de l’activité au niveau du port de Douala, a presque disparu.
Alors, Douala, port d’estuaire, Kribi, port en eau profonde, ce n’est pas de nature à vous donner des complexes. Vous considérez Kribi comme quoi ? Un concurrent, un aîné au regard de son potentiel, ou plutôt un cadet du fait de son jeune âge ?
En tout cas, la politique portuaire nationale, elle est connue. Les ports, sont complémentaires et les caractéristiques de Douala et de Kribi sont différentes.
Les concurrents de Kribi sont en pointe noire, sont Cotonou. Kribi ne saurait être un concurrent pour Douala. Et d’ailleurs, nous avons eu à l’indiquer plusieurs fois, au fur et à mesure que Kribi va monter en puissance, Douala va se porter mieux puisque le trafic qui atterrit à Kribi, va nécessairement revenir à Douala.
Ce qui fait que, même si à l’avenir, le port de Kribi assume sa fonction originelle, qui est celle d’être un port industriel et minéralier, qui fera en sorte qu’il y aura beaucoup plus de volume à traiter que Douala, Douala va toujours continuer à fonctionner et plutôt à grandir. La preuve, c’est que, comme je vous l’ai dit, nous sommes en train de nous orienter vers des sites péri-portuaires pour agrandir les surfaces d’opération.
Parlons précisément, monsieur le directeur général, du port autonome de Douala, de l’exploitation quotidienne du port, du port de Douala-Bonabéri. Quel est l’état des équipements, en termes d’acquisition, en termes de maintenance, en dehors de ceux destinés au draguage du chenal aujourd’hui ? Et comment s’opère l’interaction entre les différents acteurs de la place portière, les activités, entre les différentes activités, entreposage, stockage, acconage ? Est-ce qu’il y a suffisamment de place pour l’ensemble de ce qui opère autour de la place portière aujourd’hui ?
Comme je vous l’ai indiqué il y a quelques instants, la principale fonction d’un port, c’est de faciliter les opérations du commerce extérieur. Et la principale mission du PAD, qui est l’organisme qui a été institué par l’État pour gérer cette place, c’est de s’assurer que les opérations du commerce extérieur se déroulent normalement. Et donc, nous avons entrepris de rénover, de reconstruire et d’équiper l’ensemble des installations d’acconage.
Je prends par exemple le cas des magasins cale. Les magasins cale sont des magasins qui sont au bord des quais, qui servent à l’acconage justement. Sans ces magasins, vous n’allez pas recevoir du riz, du sucre, du blé, etc.
Nous avons entrepris de reconstruire ces magasins qui datent des années 40 et qui n’étaient plus opérationnels. Nous avons entrepris de reconstruire les quais. Par exemple, le quai du parc à bois qui menaçait de s’effondrer, nous l’avons reconstruit.
C’est un quai essentiel pour l’exploitation du bois. Nous avons reconstruit le quai pétrolier, qu’on appelle le Duc d’Albe pétrolier. C’est une infrastructure névralgique pour le pays parce que c’est par là qu’on fait accoster tous les navires qui approvisionnent le pays en produits pétroliers.
Nous avons entrepris de faciliter, de fluidifier la circulation au niveau du port en construisant les voies de circulation. Notamment, on a construit à peu près 40 kilomètres de voies bitumées en zone amont du port et puis en zone aval. Nous avons entrepris d’équiper le terminal conteneur qui est l’une des installations commerciales majeures dans tous les ports.
Aujourd’hui, nous avons un terminal à conteneurs qui fait envier d’autres ports en Afrique. C’est pour dire que nous faisons tout pour que les opérations se déroulent convenablement. Maintenant, est-ce que tout le monde trouve son compte en termes d’espace d’installation ? Je dirai : pas toujours. Parce que nous avons beaucoup de demandes qui ne sont pas satisfaites parce que les limites du port aujourd’hui sont telles qu’on ne peut pas grandir dans le site actuel parce que nous sommes à peu près 997 hectares officiellement, mais un tiers de cet espace-là occupé par les habitations, les populations de la ville.
Donc nous sommes en train de chercher aujourd’hui à nous étendre vers d’autres sites comme Manoka, comme Dibamba, où le gouvernement nous a donné des espaces.
On va parler également de ce projet d’extension du port de Douala dans un moment, mais il y a des limites sur le plan spatial. En termes de fluidité des opérations, en termes de matérialisation, de dématérialisation des procédures, est-ce que, là aussi, le port de Douala est plus compétitif qu’il l’était hier ?
C’est la question de la fluidité en termes de facilité de passage portuaire. C’est un combat permanent. Vous savez qu’on a affaire à beaucoup d’acteurs qui, tous, ne sont pas sous le contrôle de l’autorité portuaire. Nous avons fait le nécessaire à ce qui nous concerne.
Nous avons réduit l’ensemble de la paperasse qui faisait que le port, en tant qu’autorité portuaire, pesait 12 jours sur le passage portuaire. Nous avons réduit les 12 jours en trois. Le gouvernement a institué une instance qu’on appelle le Comité national de facilitation des échanges CONAFE, pour essayer de mettre autour d’une même table tous les acteurs dont la Douane, l’autorité portuaire, les acconiers, les armateurs, etc., pour que chacun puisse prendre la responsabilité de réduire les procédures.
Aujourd’hui, ayant testé toute la chaîne des opérations, nous avons compris qu’effectivement il faut dématérialiser. Le porte Autonome de Douala est en train d’acquérir un système d’information portuaire qui va faire en sorte que le contact avec le personnel et les usagers va être réduit au maximum. Et puis, bien évidemment, l’impact sur le délai de passage sera très important. L’idée, c’est de pouvoir faire sortir les marchandises qui arrive en moins de sept jours. C’est ça notre ambition.
Parlons du transbordement de navire à navire, source de problèmes, notamment de perte de temps. Quel est le problème et comment travaillez-vous à le résoudre.
Le Transbordement de navire à navire, qu’on appelle vulgairement ship to ship est une opération essentiellement logistique qui procède des limites naturelles du port. Parce que le port ne peut pas accueillir des navires d’une certaine taille. Donc nous sommes obligés parfois de faire mouiller les gros navires à une bonne distance, où les eaux sont assez profondes et faire déplacer les petits navires pour aller recevoir la marchandise. Et donc, l’opérateur qui se met entre les deux navires c’est l’opérateur ship to ship.
Pour les opérations au niveau du port, à Douala, nous n’avons pas de façon réelle d’activité ship to ship dans le périmètre d’opérations de Douala. C’est pour dire que ce sont des opérations qui n’impactent pas la fluidité des opérations au niveau du Port de Douala-Bonabéri. A l’avenir, nous envisageons de mieux organiser cette activité-là. Parce qu’il s’annonce des volumes plus importants de bauxite. C’est peut-être à partir de cet instant-là qu’il faudra être vigilants. Parce que si nous ne sommes pas vigilants, au regard des volumes qui sont annoncés, on pourrait complètement impacter négativement la performance du Port de Douala-Bonabéri.
Vigilants aussi pour que le premier navire qui arrive soit le premier à repartir…
Effectivement. Il faut savoir que ce port accueille 70% des opérations du Commerce extérieur. C’est une charge de travail très importante. Les installations ne sont pas suffisantes. Nous avons à peu près 3 km de quais. Le volume des marchandises qui arrivent au Port est plus important que les capacités d’accueil. Nous sommes donc obligés d’arbitrer et d’imposer des cadences de manutention à tous les aconiers. Il s’agit de ceux-là qui sont chargés de manutentionner les navires, les chargements et les déchargements.
Donc nous leur imposons des cahiers de charges en time in assez précis pour charger et décharger les navires. C’est ainsi qu’on apprécie la performance opérationnelle d’un port.
Il n’y a pas de trafic d’influence à ce niveau-là ?
On ne peut pas exclure qu’il y ait des trafics. Il y a souvent certaines priorités qui nous sont désignées, parfois par le gouvernement. Je vous donne l’exemple de la période COVID. On nous annonce par exemple qu’il y a un navire transportant des médicaments en chemin. Il faut absolument le prendre. On est obligés d’arbitrer, entre un navire de sucre ou de riz, et un navire qui apporte des médicaments. Ce fut la même chose avec les blocs de béton et les équipements qui devaient servir à la construction des stades. Quand le gouvernement nous appelle, pour nous dire : attention, il y a une urgence, nous sommes obligés de privilégier ce bateau-là.
Les carcasses des navires, peut-on les considérer comme un problème résiduel ou une menace pour la navigation maritime ?
Les épaves de navires c’est un problème structurel au niveau du Port de Douala-Bonabéri. C’est un sujet que nous avons pris à bras-le-corps depuis que nous sommes arrivés ici. Depuis la création de ce port, on n’a jamais pris la démarche qui consistait à faire évacuer les navires qui coulaient. Au fur et à mesure que les années passaient, les navires coulaient, les uns sur les autres, ce qui a réduit les capacités du port à manutentionner les marchandises. Il y a certains sous-ensembles du port qui ont été complètement désaffectés, comme le port de pêche, qui était un fleuron mis en place par le gouvernement pour autonomiser notre pays en termes de fourniture de produits halieutiques. Nous avons un port sous-régional qui alimentait tous les pays de la sous-région. Ces ports-là ont été abandonnés à cause des épaves qui se sont accumulées. On ne pouvait plus draguer, et il y a des navires qui ne pouvaient plus venir. L’une de nos priorités a consisté à mettre en place une ingénierie financière pour enlever ces épaves. Nous avons enlevé la première phase des épaves. Nous sommes en plein dans la seconde phase. Ce n’est pas évident. Quand on croit qu’on a enlevé une épave, il y a une autre en-dessous. Et parfois, une troisième.
Pour cette deuxième phase, nous sommes en train d’enlever au niveau du port de pêche. Après cet enlèvement, nous allons enchaîner avec le dragage. Nous allons ramener les profondeurs au niveau de la construction initiale. Ensuite, nous allons reconstruire tout le port de pêche pour pouvoir relancer la pêche au niveau national. Cette deuxième phase va également consister à enlever les épaves au niveau du port sous-régional. Si vous vous y rendez, vous découvrirez qu’il y a même déjà des arbres qui poussent à cet endroit. Donc le travail est énorme. Il faut enlever les épaves, draguer et reconstruire le port sous-régional, à l’effet de relancer l’activité de cabotage entre le port de Douala-Bonabéri et les autres pays de la sous-région.
Nos plans d’eau sont également sources de grandes convoitises. Travaillez-vous en parfaite intelligence avec les services de sécurité notamment, pour veiller à ce que le trafic s’effectue sans risques pour les navires et leurs occupants ?
Il faut dire en termes de sécurité que la plateforme portuaire de Douala et ses plans d’eaux sont des lieux hautement sécurisés. Nous avons deux niveaux de sécurité. Vous avez le maintien de l’ordre ordinaire qui est assuré par une compagnie de gendarmerie essentiellement affectée au port. Elle est composée d’à peu près 200 éléments. Vous avez un escadron de gendarmerie qui est également là, avec à peu près une centaine de personnes. Vous avez une unité de police qui s’occupe à la fois de la police des frontières et du maintien de l’ordre ordinaire.
Pour le maintien de l’ordre ordinaire, il n’y a pas de soucis, parce qu’ils viennent en appui à la police spéciale, qui est la police portuaire. Maintenant, comme vous le savez, un port c’est aussi une frontière. Donc une frontière maritime, avec un chenal d’à peu près 50 km. Sa sécurité est assurée par des unités de forces de défense. Vous avez les forces de surface : la marine. Ensuite, le Bataillon d’Intervention Rapide (BIR), qui, à chaque fois, accompagne les navires à la sortie et à l’entrée.
Nous aimons bien les chiffres. Parlons des performances de votre structure sur le plan financier. Quelle est la contribution du PAD dans le PIB de notre pays ?
Pour essayer de peser le poids du Port de Douala sur la formation de notre produit Intérieur Brut, sur la formation de la richesse nationale, nous avons sollicité les services de l’Institut National de la Statistique, qui a fait une étude systématique globale de l’impact du port sur l’économie à la fois locale et nationale. Ce rapport donne une indication assez claire sur le fait que l’activité du Port de Douala produit à peu près 85% des recettes douanières du pays, et 21,5% à peu près des recettes internes de l’Etat. Le Port de Douala c’est à peu près 48% de l’ensem ble des emplois créés au niveau local, et 18% à l’échelle nationale. L’imapct est significatif, c’est d’ailleurs pour cela qu’on parle de poumon économique du Cameroun. C’est à dessein, parce que les chiffres sont là pour l’indiquer.
C’est pour dire que cette installation est stratégique pour notre pays. Vous évoquez-là des questions de souveraineté. L’économie d’un pays comme le Cameroun est fortement impactée par l’activité du port. S’il y a un incident, vous le ressentez tout de suite à la maison. Parce que tout ce que nous consommons au quotidien passe par ici. C’est pour dire que que ce soit l’économie réelle (le petit commerçant du quartier), que ce soient les données macro-économiques, toutes sont fortement impactées par l’activité du port.
Je m’en voudrai de ne pas vous poser la question sur la nationalisation du Port de Douala-Bonabéri. Cette opération, aujourd’hui, peut-elle être qualifiée de satisfaisante et irréversible ?
Notre point de vue, nous pouvons considérer que l’Etat, aujourd’hui, a un contrôle total du Port de Douala-Bonabéri. Vous savez, les ports sont des actifs stratégiques qui sont des marqueurs de la souveraineté des Etats. Un Etat moderne ne peut se sentir souverain s’il ne maîtrise pas un actif aussi stratégique. Donc le Chef de l’Etat, en nous prescrivant de reprendre, sous le contrôle de l’autorité portuaire, un certain nombre de sous-ensemble commerciaux, je suppose qu’il avait à l’esprit de nationaliser, comme vous le dites ces sous-ensembles-là, pour mieux les gérer, les moderniser, et faire en sorte que le développement du Cameroun soit adossé sur des supports solides. Qu’on ne soit plus exposés à des chantages. C’est le cas du terminal à conteneurs que nous avons dû reprendre. Aujourd’hui, ce terminal est une fierté en Afrique. C’est un lieu de haute performance en termes d’équipements, en termes de facilités d’opérations. Nous sommes d’ailleurs dans une dynamique d’investissement. Nous allons construire un quatrième quai pour agrandir notre terminal. C’est la même chose avec d’autres sous-ensembles comme le remorquage, qui ne faisait pas de résultats positifs. Depuis qu’on a nationalisé, c’est une activité portuaire qui fait des résultats très positifs.
Nous sommes en train de continuer cette dynamique-là sous l’impulsion du gouvernement. A ceux qui nous reprochent de vouloir nationaliser, je leur réponds souvent qu’il suffit de comparer les deux périodes. La période au cours de laquelle nous étions avec d’autres concessionnaires en train d’opérer, et aujourd’hui, où l’exploitation est assurée par des nationaux. Les chiffres sont là pour l’indiquer. Vous pouvez voir à quoi ressemble le terminal aujourd’hui, à quoi ressemble le port.
Tous ces revenus qui étaient évacués vers l’extérieur nous servent aujourd’hui à reconstruire le port. Je ne peux donc pas avoir de complexe de dire que la nationalisation d’un certain nombre d’entreprises stratégiques est une nécessité vitale pour notre pays.
Peut-on dire que la parenthèse judiciaire s’est refermée. Sur le plan personnel, avez-vous appris de cette épreuve-là ? Par quel goulot d’étranglement êtes-vous passés pour arriver à ce que tout le monde admire et dont tout le monde se réjouit aujourd’hui ?
J’avoue que ce fut une période très difficile au plan personnel. Mais comme j’aime souvent à le dire, nous sommes des soldats au service du Chef de l’Etat. Le Chef de l’Etat nous a donné une mission, nous l’assumons sans état d’âme. Même si ça nous apporte quelques désagréments. Nous avons posé les actes qui étaient dans l’intérêt de notre pays. C’étaient des actes d’intérêt général. Il n’y avait rien de personnel dans ce que nous faisions ici.
Nous avons constaté que les concessions qui ont été faites ont été mal négociées ou alors ont été mal exécutées. Nous avons constaté que l’emprise du domaine public portuaire était occupé par pleins d’activités qui n’avaient rien à avoir à la fois avec les opérations industrielles et logistiques. Nous avons observé que des entités ou des personnes extérieures avaient des activités incompatibles avec le port. Il fallait mettre de l’ordre. En même temps que nous mettions de l’ordre pour que l’Etat réinstalle son autorité ici, il était question, en même temps, d’assainir, de mettre la propreté, de reconstruire, de mettre de la discipline. Tout cela, bien évidemment, au regard des intérêts qui ont été touchés. Vous pouvez imaginer les réactions.
Toutes les procédures judiciaires qui ont été engagées pour contrer cette action de salubrité se poursuivent pour certaines, mais nous avons le bon droit de l’autre côté, et nous avons le soutien du gouvernement.
Parlons du projet d’extension de la place portuaire. Quels en sont les contours, quel en est le chronogramme ?
Dans le discours du Président de la République, son Excellence Paul BIYA lors de sa campagne le 06 octobre 2011, il a clairement annoncé l’édification d’une zone industrialo-portuaire dans la périphérie de la ville de Douala. Nous y sommes effectivement, parce que nous sommes en train de planifier le lancement des travaux de la zone industrialo-portuaire sur les rives de la Dibamba. C’est une zone industrialo-portuaire qui a pour vocation d’accueillir certaines installations logistiques. Et puis une zone avec le partenaire ARIISE qui va édifier une zone industrielle pour accueillir des unités de transformation. Parce qu’il faut se dire que quand on parle d’import-substitution, il faut des éléments probants et visibles, qui traduisent la mise en œuvre de cette politique gouvernementale. C’est dans cette mouvance-là que nous sommes rendus. D’ici au maximum trois semaines, nous sommes partis pour inviter les autorités pour la pose de la première pierre.
Mais nous sommes conscients que ce ne sera pas suffisant. Nous avons fait faire une étude qui a permis de concevoir un schéma Directeur de Développement du Port à l’horizon 2020-2050. Cette étude est assez claire, pour indiquer que d’ici 2030-2035, nous serons rendus à peu près à 23 millions de tonnes ici à Douala. Donc si nous n’aménageons pas de nouveaux espaces, il est clair que le port sera engorgé. Or le site actuel, même si on le modernise, il ne pourra pas prendre plus de 15 millions de tonnes. Nous sommes obligés d’aller vers des sites péri-portuaires. Le premier site c’est celui de la Dibamba, et à long terme, qu’on puisse avancer sur un autre site qui est Manoka, où nous aurons des profondeurs capables de recevoir les plus gros navires du monde. Là-bas, nous allons chercher 43 millions de tonnes d’ici 2050.
Donc que ce soit par nous-mêmes, que ce soit après nous, il y a quand même une boussole. Un portefeuille de projets, un linéaire de projets qui sont faits pour que le port de Douala continue de rêver, qu’il soit ce que le Chef de l’Etat avait annoncé, qu’il soit un port de référence au cœur du Golfe de Guinée.
Comment envisagez-vous cette expansion. De façon autonome, ou en ayant recours à des partenariats ? On a parfois l’impression que le Port Autonome de Douala est auto-suffisant. On n’a pas beaucoup parlé de contrats de partenariats.
Si le port s’est dégradé pendant une longue période, c’est parce que tout le monde attendait que l’Etat vienne investir. Nous avons très bien compris que l’Etat a tellement de choses à faire qu’il ne peut pas avoir assez d’argent pour investir dans des projets aussi coûteux que ceux qui sont ici. C’est pour cela que nous avons décidé de développer des partenariats public-privé. L’essentiel des projets que nous avons réalisé ici sont en PPP. C’est le cas par exemple de la zone industrielle que nous réalisons sur la Dibamba, où nous allons en partenariat Public-Privé avec ARIISE. Nous sommes en train de développer la rive droite du port, parce que nous sommes ici sur la rive gauche. Là également, nous avons commencé les travaux de construction de 900 ml de quais, avec 47 ha de terre-plein. Là bas, nous allons construire tout un nouveau port. Nous allons bientôt lancer les travaux de construction d’un site d’entreposage de conteneurs vides, également sous PPP. C’est pour vous dire que nous mettons à profit cette ingénierie pour accélérer le développement. C’est d’ailleurs la vocation du PPP.
Un mot sur le transit de marchandises. On a le sentiment que les pays voisins, sans accès à la mer, travaillent de plus en plus à contourner nos places portuaires, et travaillent de plus en plus à des solutions alternatives. Comment ces projections sont-elles perçues ici ?
Je confirme votre observation. Ce sont des tentatives qui sont faites. Mais la réalité est là. Il faut savoir constater par soi-même que nous avons beaucoup de choses à faire, notamment sur nos corridors. Nous avons deux principaux corridors, celui qui part de Douala ou Kribi vers Bangui, nous allons l’autre qui va jusqu’à Ndjamena. Il faut savoir que autant nous faisons les efforts pour faciliter le transit à l’intérieur du port, autant, quand on sort du port, il y a tout un chemin à parcourir. Le gouvernement, dans le cadre du CONAFE, a entrepris de faire des missions sur les différents corridors chaque trimestre, pour démanteler les barrières spontanées, toutes les tracasseries volontairement installées par des personnes non-habilitées. C’est un travail de très longue haleine. Il faut dire que les corridors camerounais sont les corridors les plus sûrs. Si j’étais le Tchad ou la RCA, c’est naturel que je cherche des alternatives. D’ailleurs, nous avons des statistiques qui sont claires. Il n’y a pas mieux que les corridors camerounais pour sécuriser les approvisionnements de ces pays. Même si nous reconnaissons qu’il y a des efforts à faire. Et nous commençons à recevoir des cargaisons dont la destination est le Niger, le Soudan, le Nord de la RDC, à travers le fleuve Obangui. C’est pour dire que si nous faisons les efforts nécessaires, si tous les acteurs sont conscients des enjeux stratégiques quid écoulent de la position de notre pays au cœur du Golfe de Guinée, nous faciliterions la vie aux pays sans Littoral.
Quel est votre rêve, votre ambition à terme, au moment où vous serez partis de la Direction Générale de cette structure. Quel souvenir entendez-vous laisser à la postérité comme Directeur Général du Port Autonome de Douala ?
Mon ambition c’est de remplir la mission qui m’a été assignée. De donner corps à l’ambition du Chef de l’Etat. Il a bien dit qu’il veut faire du Port de Douala-Bonabéri le pôle de référence au cœur du Golfe de Guinée. Et tous les projets que nous réalisons vont dans le sens de donner corps à cette vision. La satisfaction que j’aurai quand je ne serai plus ici c’est celle de dire : c’est moi qui ai permis à monsieur le Président de la République de respecter la parole donnée aux Camerounais s’agissant du port de Douala.





































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