Analyse : Le marché camerounais des hydrocarbures à l’aune des mutations industrielles

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Pose de la première pierre de la raffinerie moderne intégrée et du dépôt de réserves stratégiques de Kribi

Le marché camerounais des hydrocarbures s’apprête à subir une profonde transformation structurelle. Entre velléités de souveraineté énergétique, nécessité de modernisation des infrastructures et volonté d’optimiser la chaîne logistique, le pays semble avoir, enfin, trouvé le moyen de redéfinir ses priorités stratégiques dans un contexte de transition énergétique mondiale. Ceci, à travers la société CSTAR, détenue à 49% par Ariana Energy, 31% par TRADEX et 20% par la Société Nationale des Hydrocarbures (SNH).

L’actualité de ces derniers jours est cristallisée par les projets de construction d’une raffinerie moderne intégrée et d’un dépôt de réserves stratégiques, portés par les deux SPV CSTAR Refinery Project Management LLC et CSTAR Tank Farm Project Management LLC. Projets qui apportent une réponse efficace à la fois à ses besoins internes et aux exigences régionales.

La critique, alimentée notamment par un front conservateur, fait tache d’huile au sein de l’opinion. Notamment au niveau de la concurrence que feraient les deux projets sur la raffinerie de Limbé (portée par la SONARA) et les dépôts pétroliers (gérés par la SCDP). Je n’ajouterai pas ici les soupçons de corruption et de positionnement socio-politique, attribués aux porteurs du projet, dont la très dynamique Chairlady et CEO.

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Mon avis à ces sujets est différent. Sur le stockage des produits pétroliers, le marché camerounais, ces six dernières années, a connu de fortes perturbations, exacerbées par l’incendie majeur de l’unique raffinerie du Cameroun à Limbé. A ces facteurs internes, s’ajoutent les impacts négatifs de la pandémie à Coronavirus et de la crise russo-ukrainienne. Celle-ci notamment, en raison de l’embargo imposé à la Russie, a entraîné une réduction de la disponibilité des produits et une flambée des prix de ceux-ci sur le marché international.

Ce double contexte (national et international) a contraint la Société Camerounaise des Dépôts Pétroliers (SCDP), à concentrer ses investissements (non-négligeables) dans le renforcement de son dispositif de sécurité et, dans une certaine mesure, dans l’accroissement de ses capacités de stockage, dans l’objectif de prémunir le marché d’une énième pénurie de produits comme celles qu’on a connues ces dernières années.

Comme le Dangote camerounais

La concurrence entre le nouveau dépôt de réserves stratégiques de produits pétroliers et la SCDP sort le débat des vraies questions. Notamment la question de la dépendance du pays au chocs exogènes, et de l’objet social de cette nouvelle entité qui, faut-il le rappeler est orienté vers la sécurisation des réserves stratégiques du pays. Une mission dédiée à la SNH par l’Etat du Cameroun. Ce projet vient juste accroître les capacités de stockage du pays et apporter au Cameroun une protection maximale dans un monde de plus en plus incertain.

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Inspiré par l’expérience du milliardaire nigérian Aliko Dangote, le Cameroun doit faire un saut dans la modernisation des infrastructures de raffinage de son propre pétrole. Ceci, nonobstant les critiques sur l’importance d’une nouvelle raffinerie, dans un contexte marqué par la restructuration de la raffinerie de Limbé.

Avec la façade maritime dont dispose notre pays, la construction d’une deuxième raffinerie au Cameroun serait une avancée. La raffinerie n’est pas obligée d’être dédiée à un marché endogène. Celle de CSTAR intervient dans un processus d’import substitution en ce sens qu’elle est prioritairement consacrée à raffiner le brut produit localement et l’injecter dans le marché national.

La course vers le stockage en Afrique

Les carburants que nous consommons dans nos véhicules au Cameroun proviennent régulièrement de stockages installés au Togo ou au Bénin, deux pays qui ne produisent pas de pétrole, mais qui ont la chance d’avoir un front de mer.

La logistique pétrolière ne se préoccupe pas uniquement de la taille du marché endogène. Elle est fondée sur la capacité à écouler ce qu’on produit et ce qu’on stocke. Les pays dépourvus d’un Littoral peuvent, dans ces conditions, se poser la question de la coexistence entre deux raffineries ou deux sociétés de stockage. Pas ceux ayant la même géographie que le nôtre.

Revenant sur le Cameroun, le secteur portuaire serait un parfait exemple. Après la quasi-domination du Port de Douala-Bonabéri, le Cameroun a investi dans la construction d’un port en eau profonde (plus grand) à Kribi, et devrait accueillir un deuxième port en eau profonde à Limbé. Dans les projections à moyen terme, il est prévu la construction, dans la ville de Douala, d’un port en eau profonde à Manoka.

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Les études récentes, notamment celle de l’Institut National de la Statistique (INS) sur l’impact du Port de Douala sur l’économie, ont montré une complémentarité entre les deux plateformes. Clairement, révèle l’INS, la croissance des opérations à Kribi devrait induire une croissance des opérations à Douala.

Rappelons-nous que la Dangote Refinery fait déjà des livraisons aux USA. Le débat ne se pose donc pas en opposant toutes ces structures fondées par l’Etat. Une Sonara réhabilitée a bel et bien sa place à côté de la future unité. Tout est question d’orientation stratégique.

Positionnement stratégique vers la raffinerie

Avec quatre raffineries fonctionnelles, dont deux dans la seule ville de Port Harcourt, le Nigéria est un cas d’école. Malgré la taille impressionnante de son marché, le pays brille surtout par ses exportations vers d’autres pays.

Mais il n’y a pas que le Nigéria. Le Tchad, le Congo, et le Gabon ont des raffineries. Ce qui n’empêche pas à ces pays d’importer des produits finis du Niger et même du Cameroun. Rappellons qu’avant l’incendie de la raffinerie de la SONARA, le Cameroun importait bel et bien des produits pétroliers pour alimenter la consommation locale. Un dernier cas peut être ajouté à ceux-ci. C’est celui de la Suisse, qui ne produit pas de pétrole, mais écoule des volumes de produits finis à travers le monde.

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Les projets des deux SPV de CSTAR doivent être regardés froidement. Il s’agit d’économie, pas de politique. Le marché camerounais des hydrocarbures est en train de sortir d’un modèle centralisé et dépendant pour entrer dans une ère d’autonomie, de diversification, de spécialisation et de projection régionale. Les projets de CSTAR symbolisent cette dynamique ambitieuse, encore tributaire de lourds défis logistiques et financiers. Mais avec une volonté politique affirmée, un partenariat étatique renforcé (via SNH et TRADEX), et une vision stratégique claire, le Cameroun peut transformer ses ambitions en succès industriels durables.

Frégist Bertrand TCHOUTA

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