Cameroun : Comment le manque de route pénalise le port de Kribi

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Les Dessertes Port Autonome de Kribi. Crédit Photo: bougna.net

Sur les 113 kilomètres de route qu’il emprunte ce 29 décembre 2020 à bord de son Toyota Prado 4X4 pour partir d’Edéa à Kribi, Emmanuel Nganou DJOUMESSI a largement le temps de mesurer l’ampleur de la dégradation de cet unique axe qui dessert le Port Autonome de Kribi.

Le Ministre des Travaux Publics, qui y va pour signer (le lendemain 30 décembre) un contrat sous la forme du Partenariat Public-Privé avec le chinois China Harbour Engineering Compagny (CHEC) pour l’exploitation de la section autoroutière Kribi-Lolabé (38,5 km), comprend que les travaux de réparation effectués il y a moins d’un an (en juin 2019 pour environ 200 millions de FCFA) par « sa » Brigade des Travaux en Régie n’ont pas apporté de solution escomptée.

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Le Port Autonome de Kribi, achevé en 2014, et mis en service quatre ans plus tard (en mars 2018), donne l’impression d’avoir été conçu sans dessertes. Pourtant, lors de sa conception, une bonne demi-dizaine de projets routiers y avaient été associés.

La route Ebolowa-Akom2-Kribi (environ 179,5 km), attribuée à l’italien ICM CMC Spa, budgétisée à environ 128,293 milliards de FCFA, pour ouvrir le Port à la région du Sud, et, raccorder le futur terminal minéralier aux pays voisins, notamment le Congo. La route Grand Zambi-Kribi, construite sur 2X1 voie, pour un coût d’environ 29, 889 milliards de FCFA. Et la route Bingambo-Grand Zambi, 45 kilomètres, dont un accord de prêt d’environ 7,092 milliards de FCFA (obtenu auprès du Fonds d’Abu Dhabi pour le Développement FADD) font partie des dessertes prévues. Une ligne ferroviaire Edéa-Kribi-Campo était aussi prévue.

Retards

De tous ces projets, seuls deux sont annoncés pour 2021. La route Grand Zambi-Kribi et la portion autoroutière Kribi-Lolabé, qui « vise à améliorer la compétitivité de la chaîne de transport à partir du Port Autonome de Kribi, à assurer l’attractivité dudit port ainsi que la liaison entre le pôle industrialo-portuaire de Kribi et les agglomérations intérieures », explique d’ailleurs Emmanuel Nganou DJOUMESSI.

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Mais à Kribi, on commence à se lasser de ces promesses à durée indéterminée. La route Ebolowa-Akom2-Kribi, promise en 2011 attend les premiers coups de pioche, 10 ans après. L’autoroute Kribi-Lolabé, dont les travaux ont démarré le 1er janvier 2015, sera livrée avec trois ans de retard (le contrat tablait sur juin 2018). Les travaux de construction de la route Grand Zambi-Kribi, lancés en 2017, sont déjà en retard sur les délais contractuels (36 mois). « Ils devraient être livrés en mars 2021 », assure Hu HAO, Directeur des opérations de l’entreprise chinoise CGCOC Group.

Les autres projets intégrateurs, à l’instar de la ligne de chemin de fer Edéa-Kribi-Campo sont encore au niveau des études préliminaires et de faisabilité. Les financements n’ont pas encore été trouvés auprès des bailleurs de fonds, selon Gustavo HORSINI, chef de mission de TEEM Engineering. Enfin, la transnationale Kribi-Campo-Bata, autre projet intégrateur dont le pont sur le fleuve Ntem est le nœud, a eu sa première étude de faisabilité en 1985. Plus de 25 ans plus tard, le début des travaux reste attendu.

Le temps

Bref, pour que toutes ces routes soient construites, il faut du temps, beaucoup de temps. Mais le temps, c’est ce qui manque le plus à Kribi. Après une année 2018 d’« observation », la place portuaire dirigée par Patrice MELOM est au cœur des convoitises. Août 2019, Maersk, le plus grand armateur mondial, fait du Port de Kribi son principal point de transbordement dans le Golfe de Guinée. Janvier 2020, Bolloré, pour compenser son départ du Port de Douala, conçoit un « Plan de transport alternatif… plus compétitif en coûts et délais » sur le Port de Kribi.

Mai 2020, Maersk, lance du service de navires en commun, qui permet notamment « aux clients de Kribi Conteneur Terminal de bénéficier d’un temps de transit favorable et d’une solution de transport de qualité à l’import et à l’export pour le Cameroun et les pays de la sous-région (Tchad et République centrafricaine) ». Le service hebdomadaire de partage des navires est réalisé par les armateurs CMA CGM (MIDAS) et MAERSK (MESSAWA), a notamment apprendra bougna.net en parcourant la note d’information signée ce 08 mai 2020.

Août 2020, CMA CGM relance la ligne ASAF, une ligne maritime qui permet la « desserte des ports asiatiques par des navires d’une capacité de 8000 Teus, avec Kribi comme port pivot en Afrique centrale. Les conteneurs débarqués au PAK sont dispatchés vers les ports secondaires au moyen de feeders ou par une deuxième ligne maritime à destination de l’Europe », explique Habib IYA, Chef du Département Commercial et Marketing du PAK.

L’argent

En deux ans (2019-2020), ces vagues de mutations boostent les performances du Port Autonome de Kribi. Sur le terminal à conteneurs, Eric LAVENU, Directeur Général de Kribi Conteneurs Terminal (KCT) annonce 250 000 EVP pour fin 2020, et anticipe « un dépassement des capacités d’accueil d’ici 2021 ».

Les chiffres les plus récents (ceux du 3e trimestre 2020) montrent une progression du nombre d’escales (onshore et offshore) de 57,8% par rapport à la même période en 2019. « Le terminal à conteneurs enregistre une hausse de 23%, soit 59 escales en 2020 contre 48 escales en 2019. Le terminal polyvalent pour sa part réalise une de progression exceptionnelle de 457%, soit 39 escales en 2020 contre seulement 7 escales en 2019, expliquée en partie par le fait que ce terminal a servi de base pour les navires opérants sur les plateformes gazières et pétrolières », rapporte Philomène NZAMEYO, responsable des statistiques au PAK.

Ces activités permettent au Secteur des Douanes du SUD II (qui couvre essentiellement le port de Kribi) de franchir la barre de huit milliards de FCFA (fin septembre 2020). Un record pour les équipes de Norbert Belinga qui réalisent désormais des recettes supplémentaires d’un milliard de FCFA par mois.

« La Direction Générale des Douanes (DGD) et le Ministère des Finances (MINFI) considèrent à raison, que le potentiel du port de Kribi continue de croître et de ce fait, nous assignent des objectifs de plus en plus ambitieux. Il faut d’ailleurs reconnaître que ces derniers mois, nous avons souvent été largement au-dessus des prévisions. On a fait le premier milliard mensuel en mai 2018. Un peu plus de deux ans après, on est quand même parvenu à une multiplication exponentielle de nos résultats. Notre objectif est d’atteindre, avant la fin de l’année, la barre des 10 milliards de F CFA. Ce qui nous permettra de nous situer à peu près à 20% de ce que fait le Secteur Littoral I », analyse Norbert BELINGA.

Le doute

Malgré la crise sanitaire, les activités n’ont pas été fortement grippées. « …tout de suite le COVID ne nous a pas épargné. La phase 2 a pris un coup. Les chinois qui étaient allés passer le nouvel an chez eux n’ont pas pu revenir. Les entreprises qui avaient commencé à s’implanter ont arrêté les chantiers. Il y a eu comme un vide. Heureusement pour nous, ça n’a pas duré très longtemps. Puisque les chantiers ont repris. Même en termes de trafic, quand vous observez les étreintes, vous constatez qu’en mars et avril, ça baisse pour repartir au mois de mai. Avec un mois de juin qui, pour nous, a été un mois de tous les records », se souvient Patrice MELOM.

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« Malgré la crise sanitaire, Nous pensons bien que la tendance va demeurer. Si tout se passe bien, nous devrons avoir un bilan satisfaisant en 2020. Mais pour d’autres raisons. Notamment le fait qu’il y ait d’autres armateurs qui ne touchaient pas le Port Autonome de Kribi. A l’instar du meilleur au monde, Maersk qui est arrivé et qui a boosté le trafic. Il y a même CMA CGM, en rapport avec Maersk qui relance la ligne ASAF. Tout de suite, ça se ressent sur le trafic, et sur tout ce qui est produit à partir du port » ajoute-t-il.

Mais le talon d’Achille reste la route. Et le Directeur Général du Port de Kribi ne cache pas son impuissance. « La question des dessertes est un sujet qui m’intéresse au plus haut point. Mais sur lequel je n’ai pas beaucoup d’influence. Puisque ce n’est pas moi qui construis les dessertes du port. J’exprime mes demandes, J’alerte, quand ça ne va pas. Je confirme qu’aujourd’hui, la desserte est un gros problème pour le Port de Kribi. Mais je fais confiance au gouvernement qui saura trouver des solutions », dit-il.

En deux ans, le Port a su développer un trafic digne de son rang. Le trafic domestique conteneurisé a quasiment doublé (chiffres du 3e trimestre 2020). La durée moyenne des opérations au Terminal à conteneurs est estimée 25 heures par escale, et la cadence moyenne de manutention est désormais à 24 mouvements par heure et par portique.

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Début décembre dernier, au cours d’une visite de travail conduite par Isaac TAMBA, Directeur Général de l’Economie et de la Programmation des Investissements publics au Ministère de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire (MINEPAT), la problématique de la route a à nouveau été posée. « Sans voies de dessertes vers l’intérieur du pays et l’hinterland, aucun port ne peut réellement être attractif », a par exemple déploré Michael MAMA, Directeur de l’Exploitation (DEX) du PAK. Avant de plaider pour la réhabilitation de l’axe routier Kribi-Edéa, en piteux état, en attendant que le chantier de l’autoroute reprenne sur sa phase 2, Kribi-Edéa.

Quelques jours plus tard, une solution à cette préoccupation a été trouvée. Face aux députés de la Commission des Finances et du Budget de l’Assemblée Nationale, Emmnuel Nganou DJOUMESSI annonçait l’insertion, dans le programme de réhabilitation, de maintenance et d’entretien des routes et autres infrastructures, des travaux de réhabilitation de la route Edéa-Kribi. Le budget, 1 milliards de FCFA, est déjà connu. La date de début des travaux quant à elle n’a pas été fixée.

Frégist Bertrand TCHOUTA

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