Cameroun-Excès de vitesse : La conduite à tombeau ouvert des cortèges ministériels

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Un Cortège ministériel. Crédit Photo: Bougna.net

Martin, employé dans un département ministériel, n’oubliera jamais ce jeudi. Nous sommes en 2019, en pleine crise, son ministre doit se rendre à Douala, pour une trouver un apaisement à une crise qui fait couler beaucoup d’encre. Le départ fixé à 06 heures, sera finalement donné à sept heures. Pour rallier les 239 kilomètres qui séparent la capitale politique à la capitale économique, il faut un minimum de 4h00mn (respect des limitations de vitesse).

Mais moins de trois heures plus tard, la délégation ministérielle est à Douala. « C’était une expérience terrifiante. J’ai vu, sur des portions limitées à 60 km/h, le compteur de notre véhicule monter à 110, voire 120 km/h. Sur les lignes droites, on oscillait entre 150 Km/h et 180 Km/h », raconte-t-il. Avant de conclure : « quand à 15 heures, j’ai rappelé mon épouse pour lui dire que j’étais de retour à Yaoundé, elle n’a pas pu croire en ce que je lui disais ».

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Comme Martin, Makhounkam, spécialiste de la santé, garde un souvenir effrayant d’un voyage dans un cortège ministériel. « L’histoire se déroule en 2004. Nous revenions d’une tournée dans le Sud-Ouest. Au retour le ministre voulait ressortir par l’ouest. Et donc lorsqu’on est arrivé à Bafoussam on a fait une halte dans un hôtel après Mbo », se remémore-t-elle.

« Il était déjà environ 19 ou 20 h, voire un peu plus. Tout le monde croyait qu’on y passerait la nuit mais le ministre, après s’être rafraîchi a décidé qu’il allait dormir à Yaoundé. Nous avons donc repris la route. Entre Makenene et Ndiki il y a eu carambolage dans le cortège. C’est le véhicule du ministre qui était fautif. Je crois que le chauffeur dormait. Quatre véhicules étaient concernés et heureusement aucune de ces voitures n’avait été endommagée au point de nécessiter une réparation sur place. Toute la troupe a donc repris la route avec de petites casses», ajoute-t-elle.

Plus vite, plus loin

Plusieurs ex-chauffeurs de ministres et d’autres encore en service dans certains départements ministériels confirment ces voyages en cortège aux allures supersoniques. « Etre capable de faire du 150, du 180 et même du 200 (Km/h) sur certaines routes est normal pour un chauffeur qui conduit un ministre. Parfois, ils ont des agendas chargés, et doivent se rendre rapidement d’une ville à une autre, parfois en aller-retour », minimise le chauffeur d’un ex-ministre. « Parfois, c’est sur leur demande que nous le faisons. S’il te dit, monsieur, je dois être à Bertoua, à Ngaoundéré, ou à Bamenda dans trois heures en partant de Yaoundé, tu dois être capable de l’amener à Bertoua dans cet intervalle de temps » ; ajoute-t-il.

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Aller plus loin, en un temps plus court, semble être le crédo au sein du gouvernement. Et pour y arriver, tous s’en sont donnés les moyens. En acquérant les véhicules les plus puissants et les plus robustes possibles.

Avec ses 230 mm de garde au sol, et son gros V8 Turbo pouvant aller jusqu’à 280 km/h, le Toyota Land Cruiser Prado apparaît comme la star des cortèges ministériels. Aujourd’hui, tous les membres du gouvernement en possèdent dans leur parking. Un appétit qui vient de son confort, mais aussi et surtout de sa capacité à les transporter là où ils veulent, le plus rapidement possible.

Accidents

Comme toute conduite au-dessus des vitesses autorisées, les voyages ne se déroulent pas toujours sans risque. En trois ans, plusieurs accidents liés à des excès de vitesse des cortèges ministériels ou officiels ont été enregistrés. Dont la plupart, ayant abouti au décès des piétons et/ou des automobilistes.

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26 octobre 2013. Il est environ 2 h du matin. Un véhicule du cortège d’Edgard Alain Mebe Ngo’o (à l’époque Mindef), percute un piéton au niveau du lieu-dit Pharmacie du Grand Marché à Ngaoundéré (région de l’Adamaoua). L’homme, transporté à l’Hôpital, ne survit pas à ses blessures.

18 avril 2016. Son Excellence Samantha Power, Ambassadrice des Etats-Unis à l’Onu est au Cameroun. Au pic des exactions de Boko Haram, elle doit se rendre à Minawao, auprès des réfugiés. Sur le chemin, son cortège (qui roule à vive allure) percute un enfant dans la localité de Mekong. Le jeune Birwe décède quelques minutes après. La diplomate, le Porte-parole de la Maison Blanche, et le Président de la République présenteront leurs regrets à la famille.

Août 2017. Missionné pour ouvrir la route au cortège qui transporte la dépouille de Monseigneur Jean Marie Benoît Bala (évêque de Bafia), l’adjudant Bouba Gauthier, en service à la Brigade routière du Secrétariat d’Etat à la Défense (SED), est percuté par un véhicule de transport en commun. Il meurt sur le champ.

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06 mars 2019. Emmanuel Nganou Djoumessi, le Ministre des Travaux Publics est en visite sur le chantier de la route Batchenga-Ntui-Yoko-Léna-Tibati. Sur la route menant à Tibati (région de l’Adamaoua), un carambolage survient. Sept véhicules sont endommagés. Heureusement, aucun décès n’est enregistré.

Prévention ?

06 février 2020. Le camion d’un convoi militaire en route pour Bertoua pour sécuriser le déroulement des élections dans le département du Haut-Nyong rentre en collision avec un autre camion de transport de marchandises. L’accident survenu au niveau de Kaïgama, non-loin du Poste de contrôle Mixte coûte la vie à deux sous-officiers. Sept autres blessés sont transportés à l’hôpital.

Doit-on limiter la vitesse des cortèges ministériels ? Oui, pense Isidore Kahe Feukou, spécialiste de la sécurité routière, et président de l’association Pyramide Prévention. Pour lui, les limitations de vitesse sont des normes au-delà desquelles on augmente les risques liés aux accidents de la circulation. Il suggère par exemple aux membres du gouvernement souhaitant voyager de s’y prendre la veille.

Au sein des administrations concernées, la réponse est différente. « Les agendas des membres du gouvernement sont chargés. Parfois, surviennent des événements imprévus, qui obligent le membre du gouvernement à se rendre dans une zone le plus rapidement possible. Ils n’ont donc pas d’autre choix que d’aller vite », conclut le chef de protocole d’un département ministériel.

 

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