Martin Mbarga NGUELE est censé être l’un des hommes les plus renseignés du Cameroun. Je ne parle pas uniquement du renseignement sur les questions de sécurité publique. Encore que le mauvais état des routes peut être considéré comme un facteur d’insécurité publique. Je parle du renseignement sur l’état des routes qu’écument chaque jour les équipes de la police.
Pour moi, la sortie du « Père de la Police » doit inquiéter à plusieurs titres. D’abord sur le canal. En tant que « Ministre de la Police », Martin Mbarga Nguélé sait qu’il y a des cadres appropriés pour exprimer son ras-le-bol à un collègue. Faire une sortie publique, médiatique… pour déplorer le mauvais état des routes est mal choisi. Ça montre une discorde au sein du gouvernement, je dirai même une rixe avec son collègue des Travaux Publics.
La deuxième inquiétude porte sur l’importance, l’utilité de la sortie. Le DGSN n’informe pas les camerounais sur le mauvais état des routes. Ce n’est pas un scoop qu’il donne. Puisque ces dernières années, le mauvais état des routes est resté au cœur de l’actualité. Plusieurs journaux, le mien en premier, montrent, tous les jours, les difficultés rencontrées par les populations sur les routes. La sortie de Martin Mbarga NGUELE n’apporte donc rien de nouveau, si ce n’est d’animer la scène médiatique, et à travers elle, l’opinion publique.
Un mot sur le président de la République, que cite le patron de la Police. Les orientations, contrairement à ce qui semble être, sont bien suivies par le Ministre des Travaux Publics. En tout cas, dans sa dernière sortie sur le sujet (le Discours à la Nation du 31 décembre 2023), Paul BIYA dresse même un satisfécit au bilan annuel d’Emmanuel Nganou Djoumessi.
« Je me réjouis ainsi de ce qu’au cours de l’année qui s’achève, plus de 700 kilomètres de routes ont été bitumées ou réhabilitées, sur toute l’étendue du territoire national. De nombreux ouvrages d’art ont également été construits à cette occasion », déclare le Président de la République.
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Mon point de vue est que la sortie du DGSN, au-delà de la distraction de l’opinion, jette à nouveau son collègue du gouvernement en pâture à une foule qui, depuis, veut voir des têtes tomber. « Le peuple veut le sang » …
Il y a certainement beaucoup de reproches à faire à Emmanuel Nganou Djoumessi. Mais il faut reconnaître que dans une certaine mesure, la cause du mauvais état de certains tronçons routiers est systémique.
Parlons des routes…
Cet adjectif « systémique », interpelle l’approche scientifique des systèmes politiques, économiques, sociaux. Bref, le processus de conception, de maturation, de financement et d’exécution des programmes routiers.
Un exemple. En 2023, les allocations budgétaires destinées aux interventions routières ont porté sur 31,5% du Budget d’Investissement de l’Etat. Ceci, pour un taux de couverture budgétaire des besoins réels exprimés, en ressources internes, de 27,09%. Pour mieux comprendre, c’est comme si pour une route d’un milliard de FCFA, on vous donnait 270 000 FCFA.
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Au Fonds Routier (qui finance les projets d’entretien routier) les allocations ne couvrent que 08,73% des attentes en matière d’entretien routier. D’où les éternelles questions : où va l’argent des péages routiers ? Pourquoi les routes Douala-Yaoundé ou Douala-Bafoussam par exemple sont-elles restées ainsi, alors que leur durée de vie était connue d’avance ?
Le gouvernement doit nous dire la vérité, il n’y a pas d’argent….
Pour réaliser tout de même son programme de développement, le gouvernement a recours aux partenaires au développement (BAD, UE, AFD, JICA, BDEAC, BID…). En 2023, l’enveloppe budgétaire arrêtée par les bailleurs de fonds était d’un peu plus de 143,573 milliards de FCFA. Moins de 88,599 milliards de FCFA (seulement 61,7%) ont pu être décaissés.
Ceci pour plusieurs raisons. L’insécurité dans le NoSo, qui a considérablement désorienté le programme routier. Certains travaux, à l’instar des travaux connexes dans la zone du projet d’aménagement de la route Kumba-Mamfe et du projet Bamenda-Enugu n’ont pas pu être réalisés. La pénurie de carburant qui a participé à réduire la capacité de production des entreprises. Contraintes auxquelles il faut ajouter la faible performance de certaines entreprises, et la faible capacité organisationnelle et matérielle d’autres entreprises. Un euphémisme, pour dire que certaines entreprises déclarent être capables (financièrement et matériellement) de réaliser un projet. Une fois sur le terrain, la réalité les rattrape.
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Comprenez donc que des gens ont même voulu nous aider construire nos routes en nous « donnant » de l’argent. Nous n’avons pas pu utiliser cet argent à cause de nos faux problèmes (crise sécuritaire, mauvaises politiques publiques, système d’attribution des marchés, etc.).
Pour un programme routier plus réaliste…
Depuis deux ans, nous avons créé un observatoire Indépendant des Transport (OBIT), qui a notamment pour mission d’analyser les politiques publiques et les stratégies mises en place pour améliorer la qualité du réseau routier. Nous avons relevé, comme contraintes au développement du programme routier un trop grand nombre de projets. Une soixantaine en cours d’exécution, pour une enveloppe budgétaire tournant autour de seulement 560 milliards de FCFA (crédits de paiement hors financements extérieurs). C’est trop !
Dans le cadre de la SND30, le gouvernement prévoit de construire 6 000 km de routes d’ici 2030. Mais les mécanismes de financement de ce programme présidentiel ambitieux restent flous.
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Au niveau administratif, il est urgent de renforcer le cadre juridique, pour notamment lutter contre la corruption, et, en retour, renforcer la redevabilité des entreprises de BTP envers l’Etat. Ceci permettrait à une entreprise, reconnue coupable de légèretés dans les travaux, d’être poursuivie en justice…
Au niveau politique, il faut déplafonner les ressources allouées au Fonds routier. Doté d’une enveloppe budgétaire de 45 milliards de FCFA, l’organisme public n’a pas les coudées franches pour financer les projets d’entretien du réseau routier.
Toujours au niveau politique, nous proposons une priorisation des routes du réseau routier et une augmentation du portefeuille des projets réalisés en PPP. Ceci, pour alléger les charges budgétaires qui pèsent sur l’Etat.
Frégist Bertrand TCHOUTA
Journaliste spécialiste des infrastructures et moyens de transport
Directeur de publication de BOUGNA