Colonel Jackson Kamgain : « C’est la première fois dans le monde que la Banque mondiale va financer une armée pour faire une route »

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Colonel Jackson Kamgaing. Crédit Photo: Bougna.net

Vous venez de présenter, à une délégation officielle kenyane le modèle de construction de la route Mora-Dabanga-Kousseri. Un projet mis en arrêt à la suite d’un problème sécuritaire, et qui a repris après la décision du Mintp de confier au Génie militaire la réalisation des travaux. Pouvez-vous nous faire un état des lieux du chantier ?

C’est un projet tout à fait particulier. C’est la première fois dans le monde que la Banque mondiale va financer une armée pour faire une route. Ce financement étant particulier, les mesures mises en place sont des mesures tout à fait particulières. Ceci voudrait aussi dire que le processus de mise en place est également un peu plus lent. Nous avons eu quelques difficultés au début de ce projet. Notamment au niveau de la mise à disposition des moyens. Parce que les procédures étaient un peu plus lourdes. Nous avons attiré l’attention de la hiérarchie par rapport à ça. Des mesures sont en train d’être prises.

Il faut dire qu’au jour d’aujourd’hui, nous travaillons avec la Banque mondiale par programme de travail. Ce n’est pas un projet comme tous les autres. Il ne s’agit pas de lancer, et puis d’attendre la fin. Nous faisons un programme de travail. Le premier programme de travail était prévu pour cinq mois. Nous avons déjà réalisé ce programme de travail qui consistait principalement à l’installation des bases, et au lancement des dégagements.

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A ce jour, qu’est-ce qui a été fait, et qu’est-ce qu’il reste encore à faire ?

A ce jour, nous avons déjà la base de Yaoundé qui est terminée. La base de Maroua, qui est terminée. La base de Waza qui est achevée presqu’à 95%, la Base de Mora est entièrement terminée. Nous avons déjà commencé l’installation des centrales. Nous avons deux centrales de concassage qui sont déjà sur le site. Il est question également que nous puissions avoir des centrales d’enrobé pour pouvoir embrayer sur la deuxième phase des travaux.

La deuxième phase des travaux qui correspondait au deuxième programme de travail a été lancée au début du mois de mai. Cette phase consistera à amener tous les acteurs sur le site. Il faut dire que le projet a plusieurs acteurs. Notamment les missions de contrôle. Elles étaient déjà là, mais elles vont être basées spécialement au niveau de Waza. Il est également question d’embrayer sur la construction du port de chaussée. Notamment la pause de la couche de fondation et la couche de base. C’est ce qui devrait être fait dans les prochains jours.

Comme je l’ai dit, c’est un projet assez complexe. Si les autres viennent vers nous pour savoir comment nous le menons, ça veut dire que c’est quelque chose qui marche. Je crois que nous sommes en train de mettre le maximum pour pouvoir atteindre les objectifs. C’est vrai, ce n’est pas facile avec les lourdeurs. Vous savez, nous les militaires, nous sommes souvent habitués que les moyens soient mis à disposition pour qu’on travaille. Aujourd’hui, c’est un peu plus compliqué. Il y a beaucoup de documents administratifs. Je prends un seul exemple. S’il faut acheter du fer ou des bottes pour les militaires, il faut pouvoir passer la commande, que le sous-traitant puisse livrer avant d’être payé. Vous savez, nous sommes dans des zones où beaucoup de gens n’acceptent pas cette manière de faire. Donc c’est assez compliqué. J’ajoute à cela le problème sécuritaire. Mais nous sommes en train de nous y mettre avec le ministère des Travaux publics bien évidemment pour atteindre les objectifs. Ainsi que toute la hiérarchie, à savoir le ministre de la Défense et toute la hiérarchie militaire.

Qu’est-ce qui, dans le projet de construction de la route Mora-Dabanga-Kousseri, a intéressé les kenyans que vous avez entretenu durant une semaine.

Pour les kenyans, c’est de voir comment on construit une route en zone d’insécurité. Comme je l’ai dit, c’est la première fois dans le monde qu’un bailleur comme la Banque mondiale s’y soit intéressé et ait financé une armée. Beaucoup d’autres pays ont déjà essayé de nous approcher pour savoir ce que nous avons fait. Parce qu’il y a beaucoup de zones d’insécurité dans le monde. Il faudrait bien que les populations puissent être desservies. Ce sont des travaux qui vont certainement être dupliqués ailleurs.

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Ce qui intéressait les kenyans c’est de voir comment cela a été mis en place. Quelles ont été les mitigations des risques. Vous savez, lorsqu’on met les militaires sur un site, ils veulent savoir est-ce qu’on ne va pas faire du mal aux populations. On leur a par exemple dit tout ce qui est fait. Les formations sur le droit international humanitaire, sur les Droits de l’Homme. Et aussi, ils sont venus apprendre. Dans le monde entier, la plupart des génies militaires ne font pas de travaux pour le grand public. Ils travaillent exclusivement pour l’armée. Or au Cameroun, depuis 1962 qu’a été créé le Génie militaire, de plus en plus, nous sommes introduits dans les projets. De plus en plus de partenaires viennent.

Je peux citer l’exemple de l’Agence française de développement qui vient de nous confier un projet de construction d’une centaine de salles de classes dans la région de l’Extrême-Nord. Donc ils viennent voir comment nous sommes structurés, comment nous sommes organisés pour faire pareil chez eux. Ce sont des encouragements de notre part, pour dire que ce qui a été fait depuis des années par le politique et par le militaire, c’est quelque chose qui peut être utilisé ailleurs.

C’est d’ailleurs la même question que nous, civils, nous posons. Le Génie militaire, c’est des ingénieurs qui travaillent avec des armes, ou ce sont des ingénieurs qui sont protégés par des hommes armés ?

Le Génie militaire c’est une direction qui est basée à Yaoundé. Cinq régiments répartis sur l’étendue du territoire. Dont un régiment à Douala, un à Bamenda, un à Garoua, et un dernier à Maroua. Un centre d’instruction, d’application et de perfectionnement des militaires du Génie qui est basé à Douala. Le Génie militaire est composé de 1 500 personnels. Depuis sa création, le Génie militaire a réalisé plus de 1 000 projets et nous avons une centaine de projets en cours.

Je citerai par exemple le Boulevard de la République à Douala qui est en train d’être achevé. La route de Japoma, les pylônes de télécommunication et le village des pêcheurs à Bakassi, le Parcours Vitae de Yaoundé, Douala, Bamenda et le parcours vitae de Ngaoundéré qui est en cours actuellement. Les marchés modernes de Sangmélima et de Bertoua qui ont été réalisés. Les constructions de salle de classe à l’Extrême-Nord, les constructions de brigades à l’Extrême-Nord, les constructions de routes à Kousseri. La construction du Boulevard Kakatare à Maroua.

A cela, j’ajoute les réhabilitations de plusieurs infrastructures au sein de l’armée. Parce qu’il fut le dire, au sein de l’armée, nous ne médiatisons pas ce que nous faisons. Il y a beaucoup d’infrastructures qui sont réalisées au sein de l’armée.

Pour cela, le personnel que nous avons ne nous permet pas de pouvoir atteindre à 100% nos objectifs. Nous travaillons avec des personnels civils. Pour la plupart de nos projets, nous avons environ 60% de personnels civils et 40% de personnels militaires.

Dans le personnel militaire, la plupart des officiels de l’armée sont déjà des ingénieurs avant d’être des ingénieurs militaires. Car il faut faire une différence entre les ingénieurs civils et les ingénieurs militaires. L’ingénieur civil a un « mind set » du civil. Il travaille comme les civils. Alors que l’ingénieur militaire a certaines particularités qu’on lui inculque. Notamment le fait de pouvoir réaliser des travaux le plus rapidement possible, en zone de conflit, donc sous le stress. Nous recrutons des personnels avec qui nous travaillons. Ce qui nous permet de renforcer le lien Armée-Nation et de faire en sorte qu’au sein des populations, nous ayions un bon feedback de ce que pensent les populations.

Une dernière question, celle du coût des travaux est intéressante. Dites-nous, colonel, est-ce plus cher de travailler avec le Génie militaire, ou est-ce moins cher ?

En général, c’est toujours moins cher de travailler avec le Génie militaire. Le Génie militaire c’est nous le faisons mieux, vite et moins cher. Mais la question qu’on peut se poser c’est celle de savoir pourquoi ne nous confie-t-on pas tous les travaux ? Ce n’est pas possible. Pourquoi parce que nous ne soumissionnons pas aux travaux publics. Nos travaux sont réalisés sous très haute instruction du Chef de l’Etat, chef des armées. Et on nous le donne toujours pour une raison. Certainement parce qu’on est en zone de crise. Parce qu’il n’y a pas suffisamment de moyens, ou parce qu’on est en train de vouloir aller vite. Ou alors, parce que l’Etat est pleinement engagé. Le cas par exemple du cinquantenaire des indépendances, où on a fait appel au Génie militaire pour s’assurer que les travaux seront faits à temps.

Souvent le public ne comprend pas. Nous ne sommes pas une entreprise. Nous ne faisons pas de bénéfice. Nous ne pouvons pas aller prendre un prêt à la banque pour réaliser les travaux, et espérer un bénéfice. Quand nous avons les moyens, nous lançons les travaux. Et nous les faisons à hauteur des moyens que nous avons reçus. Et la plupart des travaux que nous faisons sont souvent des travaux de très très haute qualité et qui durent. Pour nous, c’est la défense du sigle Génie militaire qui est plus importante que les missions de contrôle. Nous sommes souvent plus rigoureux par rapport aux travaux qui nous sont confiés.

Le nom du Génie militaire a été cité sur la route Babadjou-Bamenda. En tout cas, depuis que les engins de Sogea Satom ont été mis à feu. C’est vrai, le dossier n’est pas encore bouclé. La zone anglophone en particulier a besoin d’infrastructures routières. Avez-vous des projets dans cette zone en particulier ?

La zone anglophone est une zone de crise. Et dans toute zone de crise, le Génie militaire intervient dans le cadre de l’appui à la mobilité. Nous sommes déjà là-bas en train d’aménager les voies routières, en train d’aménager les ponts qui sont détruits. Mais nous le faisons dans le cadre de l’urgence, dans le cadre militaire. Et le ministre des Travaux publics vient d’écrire afin que le Génie militaire puisse prendre certains projets routiers dans cette zone. Les discussions sont en cours avec la hiérarchie militaire pour voir la faisabilité de l’exécution de ces types de projets.

Interview réalisée par Frégist Bertrand Tchouta

 

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