Dans son bureau modestement meublé, l’allure plutôt décontractée, et l’air rassurant, Sébastien PROUX semble désormais immunisé contre cette crise sanitaire qui a « lourdement » frappé Tractafric Motors Cameroun en 2020. Le Directeur Général du concessionnaire automobile, contraint, en pleine crise, de « redimensionner l’entreprise », avec un plan de départ du personnel, croit avoir trouvé dans ses tripes le remède à ce virus qui a fait perdre jusqu’à 1/3 des activités du secteur de l’automobile. Le développement d’autres sources de revenus dans l’après-vente, dans les pièces de rechange, ou encore le développement de Point S.
Le Directeur Général de Tractafric Equipment au Cameroun fait le bilan de l’impact de la crise sanitaire sur les activités du concessionnaire automobile, et présente un pan de la stratégie qui a été mise en place pour maintenir les moteurs de l’entreprise dans un régime acceptable.
Le Président Macron a reçu les patrons de l’industrie automobile à l’Elysée il y a quelques jours.
Ce n’est pas tellement par rapport au variant Delta. C’est plus para rapport aux bouleversements que subit l’industrie. En particulier l’échéance qui a été donnée par l’Union européenne qu’à l’horizon 2035, les moteurs thermiques seraient totalement arrêtés. C’est un bouleversement pour l’industrie européenne, pour les équipementiers, qui sont prêts à s’adapter. 2035 c’est dans très peu de temps. C’est dans moins de 15 ans. Il faut redimensionner, restructurer toute une activité. Ils plaident pour qu’il y ait des aménagements qui soient faits pour que les motorisations hybrides soient acceptées, pour qu’il y ait des accompagnements. En France, c’est un enjeu important en termes d’emploi. Et l’industrie automobile qui a déjà baissé en termes de part de marché, en termes de production
La France qui était deuxième producteur européen est maintenant cinquième. La fin des moteurs thermiques c’est des batteries qui ne sont pas souvent faites en France. L’enjeu de cette réunion portait plutôt sur ces perspectives. Après, effectivement, le Covid-19 et le variant Delta affectent l’économie. En Europe, il y a eu beaucoup de restrictions qui ont été mises en place. Restrictions de fermeture obligatoire, etc. Ce qui a quand même changé par rapport à la première vague, où il y a eu un confinement très strict, c’est que l’économie a réussi à s’adapter et à mettre en place des restrictions qui permettaient une activité. Alors que ce n’est pas tout à fait la même chose sans restrictions. Et à ce niveau-là d’ailleurs, il faut reconnaître que le Cameroun a été plutôt précurseur. Parce qu’il a essayé de mettre en place des aménagements qui permettaient tout de même à l’économie de fonctionner.
Malheureusement avec ce virus, on voit que c’est très difficile de prévoir ce qui va se passer. On a souvent de mauvaises surprises, la bonne nouvelle c’est qu’on a le vaccin qui permet de se protéger. Dans son intervention, Macron n’a pas imposé le vaccin, mais il va mettre beaucoup de contraintes à ceux qui ne sont pas vaccinés. Je sais qu’au Cameroun, ces contraintes n’existent pas encore pour ceux qui ne sont pas vaccinés. Mais que la politique de déploiement du vaccin est de plus en plus vive. C’est vrai qu’aujourd’hui, plutôt que des restrictions et des fermetures, le vaccin permet quand même de vivre avec le virus, et donc de continuer à faire tourner l’économie.
Au Cameroun, le marché de l’automobile au Cameroun a été fortement impacté par la crise sanitaire. Le Groupement Interpatronal du Cameroun (GICAM), dans son rapport rendu public le 22 avril 2020 estimait à 20% les pertes sur le chiffre d’affaires enregistrées par les entreprises dans le secteur des transports. Quel est l’impact de la crise sur les activités de Tractafric Motors Cameroun ?
C’était une crise inattendue et violente. La première option qu’on a eue c’était de protéger nos salariés. Nous avons mis en place un certain nombre de mesures immédiates pour respecter les instructions du gouvernement. Au moment de la première vague, on a mis en place le télétravail, on a procédé à une réorganisation du travail, avec des mises en congés. Puis on a protégé les collaborateurs avec la mise en place des mesures barrières, notamment pour rassurer nos clients.
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C’est un dispositif qui est devenu une habitude dans notre fonctionnement. Tenir les distances, avec les clients, entre collègues. On a un mode de fonctionnement qui a changé. Les réunions avec nos organes de décision se font de temps à autres à distance. Mais le métier que l’on fait, a beaucoup de contact. Une fois qu’on a adopté ces nouveaux modes de fonctionnement, on a pu opérer presque normalement. On a des règles d’hygiène qui sont strictes. On a un mode de fonctionnement qui permet à la fois de rassurer nos clients et nos collaborateurs.
Et sur vos activités de manière spécifique, quel a été l’impact économique ?
L’impact économique a été lourd. D’autant que le marché était déjà en récession depuis 2017. Il a baissé d’1/3 du fait des conflits régionaux dont tout le monde est familier. 2020, du fait des restrictions, a amené chaque entreprise à revoir ses investissements à la baisse. Notre entreprise a dû s’adapter. Revoir nos modes de fonctionnement, notre dimensionnement. Ça a été finalement un accélérateur dans nos projets qu’on avait. On avait des projets pour développer d’autres sources de revenus. Comme le développement de Point S. par exemple. Et donc, ça n’a fait que confirme la stratégie qu’on avait, d’essayer de développer nos affaires en particulier dans l’après-vente, dans les pièces de rechange. La crise a été violente, mais nos équipes à qui j’adresse mes remerciements, se sont adaptées, ont été très courageuses, et très résilientes.
Beaucoup d’entreprises ont procédé à des licenciements. Cela vous a-t-il aussi touché ?
Le marché a baissé d’1/3 depuis 2017. Pour une activité comme la nôtre, c’est énorme. Nous avons dû redimensionner notre entreprise. Il y a eu un plan qui a été fait l’an passé. Qui s’est fait intelligemment, dans le respect des personnes, dans le respect du droit du travail. C’était une décision difficile, mais nécessaire. Il fallait adapter nos structures à notre environnement. Une entreprise, pour qu’elle puisse continuer à être dynamique, il faut qu’elle soit rentable.
Peut-on dire, en restant sur le volet économique, que cette crise a eu un impact sur la part de marché de Tractafric au Cameroun ?
C’est difficile de donner une part de marché. Ce que je peux dire, c’est qu’on a deux grosses activités dans la vente des véhicules. On vend à la fois des camions, ce que nous appelons des véhicules industriels (camions, bus) nous sommes leaders sur cette activité avec les marques Mercedes, les bus MCV, les camions JAC, et la marque FUSO. Sur les véhicules de tourisme, nous sommes seconds. Avec les marques Hyundai, Ford, Renault, et Mitsubishi.
S’agissant de Ford, vous avez récemment reçu le prix du Meilleur Pick-Up de l’année. Prix décerné par notre magazine. Après une enquête menée sur le terrain pendant presque deux ans. Qu’est-ce que cela représente pour vous ? C’est une marque de résilience, après une année 2020 difficile ?
Nous sommes très fiers de ce prix. Et je vous en remercie. Comme vous l’avez expliqué lorsque vous nous avez remis le prix, il a été établi après une enquête approfondie des consommateurs. Nous savons que c’est un prix qui vient du terrain, des gens qui conduisent des véhicules, et qui conduisent en particulier les véhicules au Cameroun dans des conditions difficiles. Nous sommes très flattés d’obtenir ce prix. Pour moi, c’est un succès de nos équipes. Ça montre aussi qu’il y a eu un grand travail de nos équipes commerciales et Marketing pour faire connaître le produit. On est sur un marché où historiquement, les marques asiatiques sont très bien implantées. Qu’une marque comme Ford qui a une très grande notoriété dans le monde, mais un peu moins dans notre pays puisse s’imposer comme le pick-up de l’année, c’est une très belle marque de reconnaissance. Nous en sommes très fiers.
Beaucoup de nos prospects ont surtout insisté sur la solidité de ce véhicule. Vous qui le vendez, est-ce le seul avantage qu’il a sur ses concurrents ?
C’est un pick-up de très grande qualité. Pour nous, le Ford c’est solidité et fiabilité. Pour tous les clients du pick-up c’est un élément primordial. Nos clients veulent un véhicule polyvalent, et qui puisse aller dans les routes et les pistes les plus exigeantes du pays. C’est effectivement un qualificatif qui est tout à fait mérité.
C’est un véhicule qui apporte de la puissance, et en même temps, un très bon niveau de consommation. On a des moteurs de 120 chevaux en 2.2L, de 200 chevaux en 3.2L, et donc une puissance qui est très forte pour des moteurs qui consomment de manière raisonnable. C’est ce mix des choses qui fait la qualité du produit.
J’ajouterai un design distinctif qui permet aux consommateurs et aux clients de se différencier. Nous avons enfin un modèle qui est le WildTrack qui est en fait la finition la plus élaborée qui plaît également beaucoup. Puisque les clients ont à la fois tous les attributs que je vous ai donnés. La fiabilité, la puissance, mais avec une finition haut de gamme. C’est un véhicule qui plaît à nos clients.
Mais le prix reste élevé par rapport aux concurrents…
Le moins cher n’est pas toujours le prix e plus bas. C’est la durabilité qui est importante. C’est vrai que les tarifs des véhicules au Cameroun sont élevés. C’est dû au fait qu’il y a un régime douanier qui est très élevé. Quand je vous faisais ma remarque sur le marché qui s’est dégradé ces dernières années, c’est aussi malheureusement du fait de réformes qui pourraient être faites sur le régime douanier pour redynamiser un peu le marché. Des réformes qui n’ont pas encore eu lieu. Il y a d’autres marchés qui les ont faits. La Côte d’Ivoire par exemple l’a fait. Elle a aujourd’hui un marché qui est cinq fois plus important et qui a beaucoup cru du fait d’un régime douanier qui est très avantageux pour les véhicules neufs, et plus restrictif pour les véhicules d’occasion. Ça permet d’ailleurs, au final, d’augmenter l’assiette douanière, et de baisser le prix des véhicules.
Au sujet du prix de notre Ford, vous avez raison. Mais malheureusement, les véhicules restent chers dans le pays. C’est pour cela qu’on fait venir la gamme la plus large qui permet d’adapter aux consommateurs les véhicules. Mais il y a des pistes de travail à mener de manière générale dans toute l’industrie pour pouvoir faire venir des véhicules plus compétitifs avec des bases douanières plus faibles, et donc permettre au marché d’augmenter et d’avoir plus de personnes qui puissent accéder à l’achat d’un véhicule neuf.
Pour 2020 et 2021, vous n’avez pas assez communiqué sur les nouveaux modèles de votre gamme. A l’exception du Hyundai Palissade et le Ford Ranger 2020. Quels sont les modèles qui vont faire leur entrée dans la gamme de Tractafric au courant de cette année ou au début de l’année 2022 ?
Nous avons la marque Hyundai pour laquelle on vient de lancer le Palissade. Cette gamme va être presque entièrement renouvelée. On vient de recevoir le « face lift » (nouveau design) de Santa Fe. On recevra dans la deuxième partie de l’année le nouveau Tucson, puis, par la suite, le nouveau Creta. Donc l’ensemble de la gamme Hyundai est revue. Ce sera des nouveautés avec un design super et des véhicules en général extrêmement bien équipés. On va également avoir des lancements dans la gamme Mitsubishi avec le Mitsubishi Outlander et le Mitsubishi Eclipse. En fait, Mitsubishi est une marque qui est très performante chez nous. Les clients sont rassurés par la durabilité et la fiabilité des véhicules. Il y a des designs qui ont été revus. Le design du L200 a été refait. On veut développer la gamme sur la partie SUV. C’est pour cela que nous allons lancer deux modèles, qui sont l’Eclipse et un plus grand SUV qui est l’Outlander.
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Au sein de la gamme Ford, puisqu’on parlait de prix, on va lancer le Ford Ecosport. C’est un véhicule qu’on avait déjà commercialisé auparavant. C’est un petit SUV qui permet d’avoir un véhicule bien équipé, fiable et compétitif.
Renault, mais ça viendra plutôt l’année prochaine aura aussi des « Face lift » sur le Duster par exemple ou encore le Sandero. Donc nous avons un vrai dynamisme avec les marques que nous présentons. Nous pensons que c’est notre atout d’avoir ce portefeuille de marques assez vaste, et qui permet à chacun de nos clients d’avoir une offre différente.
L’actualité automobile, puisqu’on parle des contraintes du régime douanier, nous rappelle que la Côte d’Ivoire a récemment ouvert son usine d’assemblage de véhicules. Tractafric Equipment, votre sœur, a ouvert, à Kribi, une unité d’assemblage d’engins de BTP. Depuis au moins 2015, le Cameroun annonce l’ouverture d’usines d’assemblage, mais le démarrage se fait toujours attendre. Tractafric Motors pourrait-il suivre l’exemple de Tractafric Equipment ?
Ce sont des sujets que nous regardons de près. Notre mission c’est de pouvoir proposer au plus grand nombre les véhicules les plus compétitifs possibles, mais également de créer le plus de valeur sur le marché local. Il y a une mission sociale aussi, de pouvoir créer des emplois. Après, il y a une loi économique. Pour pouvoir avoir ce genre d’investissement, il faut qu’il y ait une dimension du marché qui soit suffisante.
Le Cameroun est quand même dans un carrefour de 300 millions de consommateurs…
Le Cameroun, et autour du Cameroun, c’est 300 millions d’habitants. Ce sont des sujets que nous regardons, mais surtout sur la partie véhicules industriels. Mais aujourd’hui, il n’y a pas de projet qui aboutirait dans l’immédiat.
Nous sommes fiers de Tractafric Equipment qui a lancé ce projet, et de ce qu’ils ont mis en place. Ceci montre l’importance du Cameroun pour notre groupe. Ça montre que malgré les difficultés rencontrées dans beaucoup d’autres pays, notre groupe croit beaucoup au Cameroun. Il est depuis longtemps, mais encore pour longtemps.
Grâce à l’accompagnement de Alios Finance, vous avez commercialisé la vente du Duster, à l’époque à partir de 359 000 FCFA par mois. C’est une opération que je qualifie de marginale, puisque vous n’en avez pas beaucoup organisé ces deux dernières années. Pourtant il y a un intérêt pour les camerounais à acquérir des véhicules avec des modes de paiement mensualisés. Allez-vous multiplier ce genre d’opérations en 2021 ?
Nous avons effectivement lancé une opération avec Alios. Nous l’avons fait avec d’autres partenaires financiers, comme Afriland ou la Société Générale. Ce sont des partenariats que nous allons renouveler. Nous savons effectivement qu’ils sont très rares, ceux qui ont les disponibilités pour pouvoir se payer comptant un véhicule neuf. On va continuer à être offensifs. Nous avons la chance d’avoir des partenaires financiers de grande qualité, et qui sont prêts à nous accompagner.
L’une des avances que vous avez prises concerne Point S. Yaoundé a désormais son enseigne, Douala aussi…
Pour nous, Point S. est un point important de notre stratégie. Nous voulons démocratiser au mieux, l’accès aux véhicules, et la capacité d’entretenir son véhicule avec des pièces de qualité et avec des standards et des meilleures compétences. Point S. c’est un complément. Aujourd’hui, nous avons notre propre garage, avec nos pièces d’origine constructeur. Mais on sait que certains, malheureusement ne peuvent pas se permettre de payer le coût des pièces d’origine. Nous avons développé cette offre qui est complémentaire, compétitive, qui permet aux consommateurs et aux consommateurs et aux conducteurs de véhicules de toutes marques, même celles que nous ne commercialisons pas, de venir entretenir leurs véhicules et d’être en confiance.
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Il y a un personnel formé dans notre centre de formation. Que ce soit pour le Point S. qui est logé chez nous, ou même chez le Point S. de Yaoundé qui est franchisé. Avec du matériel de grande qualité, et des offres très compétitives dans la pneumatique, dans les offres de vidange, la climatisation, le freinage. Nous sommes convaincus que progressivement, cette solution va plaire. Nous avons des installations de bonne qualité, des pièces de bonne qualité. Un personnel formé et efficace. Point S. c’est un complément dans notre activité, qui va dans le sens de notre stratégie d’offrir de nouveaux services aux clients.
Après Yaoundé et Douala, quelle sera la suite ? Bafoussam ?
Nous avons prévu d’autres développements. Tractafric est ce qu’on appelle un Master franchisé pour Point S. Notre projet c’est de fédérer autour de cette marque un certain nombre de distributeurs. Nous sommes déjà en discussion avec d’autres distributeurs qui nous permettront d’ici la fin d’année d’avoir sept à huit points de vente. Ça a mis un peu de temps.
Pourquoi ?
Pour un événement malencontreux. On avait prévu de faire le lancement du Point S. sur le site qu’on avait sur le beach. Mais suite à des inondations récurrentes sur ce site, on a finalement choisi de le faire dans un autre endroit. Nous avons dû revoir nos plans. C’est ce qui explique le délai qu’il y a pu avoir. Mais nous sommes dans une période d’accélération. A la fin de l’année, on aura un réseau qui sera présent dans plusieurs villes du pays, qui sera dense, avec des offres compétitives dans pleins d’endroits.
Dans le terme Masters Franchisé, qui fait quoi ?
Le rôle de Tractafric c’est de garantir les standards du Point S. C’est les standards d’image et de qualité. Nous avons un centre de formation au Cameroun qui forme également les équipes de l’ensemble des Point S. qui les assistent. C’est pour nous assurer que le niveau de service est standardisé dans chaque point de vente. Nous mettons aussi en place l’assortiment. Les pièces de rechange sont commandées par Tractafric et revendues dans chaque point de vente. Ça nous permet de les authentifier, et de trouver les offres les plus compétitives possibles. C’est enfin des animations marketing, des offres promotionnelles, qui seront faites dans l’ensemble du réseau. Au sein des points de vente, mais aussi au sein des franchisés.
Interview menée par Frégist Bertrand TCHOUTA